Un almanach de l’an passé,
Etant sur un bureau côte à côte placé
Près d’un almanach de l’année,
Lui disait : « Cher voisin, quel crime ai-je donc fait,
Qu’on ait si brusquement changé ma destinée?
Mon maître, chaque jour m’ouvrait, me consultait;
Et maintenant ma basane fanée
A la poussière, aux vers demeure abandonnée,
Tandis que le capricieux
Semble avoir pour toi seul et des mains et des yeux. »
L’autre almanach, tout frais doré sur tranche,
Lui répondit : ” Mon pauvre ami,
Tu n’es plus de ce temps, et le tien est fini.
Quand nous en sommes au dimanche,
Tu n’es encore qu’au samedi.
Ne t’en prends qu’à ton millésime.
Si, grâce au mien, je suis ce que tu fus,
J’aurai mon tour, et mon seul crime
Sera d’avoir compté douze lunes de plus. »
. Ainsi tout passe et change en ce monde fragile ;
N’être plus de son temps, c’est comme n’être pas.
Les hommes sont charmants tant qu’on leur est utile;
Qui ne l’est plus ne voit que des ingrats.
– Résignez-vous à ces tristes pensées,
Gens d’autrefois, puissances renversées,
Vieux serviteurs, anciens soldats.
Amants trahis, beautés passées;
Vous êtes de vieux almanachs.
“Les deux Almanachs”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868