Dans un jardin, côté à côte plantés,
Devisaient deux buissons d’espèces différentes.
L’un offrait aux yeux enchantés
Un feuillage charmant et des fleurs odorantes.
L’autre, au bois dur et raboteux,
Quoique doué pourtant de qualités utiles,
De ses rameaux à la taille indociles
Jetait de tous côtés les grappins épineux.
« Comment fais-tu? disait-il à son frère.
Chacun à ton aspect prend un air avenant,
T’aborde avec plaisir, te caresse, te flaire,
Te quitte avec regret et te revient souvent,
Tandis qu’on me regarde à peine.
On me laisse en mon coin; on n’ose me toucher;
On craint même de m’approcher.
D’où te vient tant d’amour ? D’où me vient tant de haine
L’autre répond : « Ami, soyons de bonne foi;
Personne impunément ne passe auprès de toi.
De ton bois hérissé l’inflexible rudesse
Oppose à tout venant quelque dard qui le blesse;
Et tu n’es qu’un objet d’effroi;
Tandis qu’à la main qui me presse,
J’offre partout un feuillage moelleux;
Et le doux parfum que j’y laisse,
Loin d’écarter les gens, est un attrait pour eux.
Apprentis à vivre seul, ou sois plus sociable.
Le monde rend ce qu’on lui fait :
Il fuit ce qui repousse, il cherche ce qui plaît;
Et qui veut être aimé doit au moins être aimable. »
“Les deux Buissons”