Félix MOUSSET
Deux cailles qui venaient des déserts africains,
Après des voyages lointains
Rentraient dans nos sillons à la saison fleurie ;
Elles vinrent un soir pour y passer la nuit
Dans un champ de millet. — Ce gîte les séduit ;
Il est frais et discret, la graine en est choisie.
Or, malheureusement, au village voisin
Vivait un chasseur fort habile,
De plus, friand du volatile.
Il les entend chanter le lendemain matin,
Et se jura qu’avant une heure,
Il plumerait, dans sa demeure,
Les oiseaux migrateurs destinés au festin.
Il vient fusil au poing avec un chien de race.
Les pauvrettes voyant la mort qui les menace,
Presque mortes restent en place ;
Mais de quoi cela leur sert-il,
Puisque le chien au flair subtil
A déjà découvert leur trace ?
L’une dit: «Vigoureusement
Je vais m’en fuir à tire d’ailes !… »
L’autre pensa : « Pour le moment,
Comme les avortons trop débiles, trop grêles,
Restons sur le sillon, traînons-nous lentement. »
La première s’envole : un coup part, elle tombe.
Le chasseur la ramasse et voit sur le sillon
L’autre caille, pauvre oisillon
Qui, semble-t-il, de faim et de maigreur succombe.
« Laissons-la se refaire ici,
Dit le chasseur, dans le champ que voici,
Et d’ici quelques jours ce sera, sur ma table,
Un rôti bien plus présentable. »
Il rappelle son chien et rentre à la maison.
La caille de filer d’un trait. Elle eut raison.
Moralité
Si la règle contraire est par beaucoup suivie.
C’est que du genre humain bien folle est la moitié.
Le malheur n’est point grand que de faire pitié :
Mieux vaut faire pitié qu’envie.
“Les deux Cailles”