Deux cerfs vivaient en paix dans un vallon ignoré des chasseurs, fourni d’un pâturage bon et abondant, et traversé par un ruisseau d’eau limpide. Une forêt voisine leur donnait le couvert pendant la nuit ; et ils avaient ainsi dans ce lieu tout ce qu’ils pouvaient désirer. Il ne leur manquait enfin que de savoir en jouir. Mais quoi ! quand on n’a jamais connu le mal-être, on ne sait pas apprécier le bien-être. Nos deux cerfs étaient dans ce cas. Ennuyés donc de l’uniformité d’une si douce vie, ils résolurent de chercher quelque chose de mieux, et quittèrent l’heureux vallon. À quelques heures de là, ils trouvèrent un endroit qui leur parut agréable ; ils résolurent d’y séjourner quelques temps, mais bientôt une meute faisant entendre ses aboiements, vint les avertir que ces lieux n’étaient pas sûrs. Un gras pâturage qu’ils trouvèrent le lendemain paraissait devoir les fixer ; mais après s’être repus abondamment, ils cherchèrent vainement de l’eau pour se désaltérer, et il fallut aller ailleurs. Cette fois, ils coururent long-temps sans trouver de pâture, et furent forcés de brouter quelques arbrisseaux sur leur route. Pour comble de malheur, un chasseur caché dans un taillis leur lâcha un coup de fusil qui blessa grièvement l’un d’eux. Ils parcoururent beaucoup de pays, et toujours trouvant un bien-être imparfait et une vie agitée par la crainte, ils commencèrent à regretter leur premier séjour. « Ami, dit l’un d’eux à son camarade, saurais-tu par quel chemin nous pourrions regagner notre ancienne demeure ? »
— « Hélas ! non, lui répondit l’autre ; nous avons tant couru que je ne saurais revenir sur tous nos pas ; et de cet heureux vallon nous n’aurons jamais plus, je crois, que le regret de l’avoir quitté ! »
“Les deux Cerfs”