Alexandre Marrot
Poète, fabuliste contemporain – Les deux cochons
Un beau jour un cochon d’élevage s’enfuit
De sa cage petite, ayant brisé la chaîne,
Et profitant du calme de l’épaisse nuit
Il couru dans les bois au delà de la plaine.
S’étant réfugié au fin fond de la forêt,
Il se retrouva face à un cochon sauvage.
La surprise passée – après un temps d’arrêt
Ils se présentèrent, parlant même langage.
« Heureux es tu ! » lui dit son compagnon des bois ;
« Tu manges tous les jours, ne crains pas pour ta vie,
Tu peux dormir la nuit sans rester aux abois ;
Tu es toujours au chaud, un confort que j’envie ‘ »
« Malheureux, que dis tu ? tu sais ce qu’être libre ! »
Répondis l’engraissé. « c’est ça le vrai bonheur !
Et même si tu mènes un combat pour survivre
Tu es indépendant, le vrai ne te fais peur… »
Et il lui raconta l’étroitesse des cages.
Les conditions de vie, les conditions de mort.
Les barreaux acérés, séances de gavages,
Jusqu’à voir dans les yeux de l’autre des remords.
« J’ignorais que l’homme qui me chasse au fusil
Est plus cruel encore avec ceux qu’il élève ;
Je comprends la liberté que tu as choisies
En dépit des soucis que celle-ci soulève. »
« L’Homme nous traite ainsi » renchérit le premier,
« Il sélectionne les individus, les races,
Pour qu’ils produisent mieux, va jusqu’à les trier
Et chacun doit rester bien fidèle à sa place.
Nous enfermant chacun dans un carcan étroit
D’où la réalité nous est inaccessible.
On mange ce qu’il donne même si c’est froid,
Acceptant les sévices les plus indicibles.
Notre vie n’a pour but qu’être bon à manger
par l’homme omnipotent qu’il faudrait qu’on vénère.
Mais le pire chez lui, ce qui va t’affliger.
C’est qu’il traite de même tous ses congénères. »
Alexandre Marrot