Les deux Coqs : commentaires et analyses de MNS Guillon – 1803.
- Les deux coqs.
(1) Deux Coqs vivoient en paix, etc. Ce début a été ainsi copié plutôt qu’imité par St. Evremont, dans sa fable des Poules de Lesbos :
Deux Poules vivoient en paix,
L’une amante, l’autre aimée:
Ce qu’on n’eût deviné jamais,
Autre Poule survient, la guerre est allumée,
( oeuv. div. T. V. p. 283. )
(2) Amour , tu perdis Troye! etc. Un des secrets de la poésie, pour agrandir les sujets qu’elle traite , est de les comparer a d’autres plus relevés. L’intérêt que nous donnons à ces sortes de rapprochements sera en proportion de la surprise qui l’excite, ou de la sensibilité qui le provoque : il est au comble , lorsque le poète a su mettre en œuvre ce double ressort. Ces divers caractères se retrouvent ici. Que l’Amour mette aux prises deux Oiseaux ; cette idée n’a rien que de vulgaire : qu’y a -t – il à cela d’étonnant? ne sait-on pas que l’Amour a plus d’une fois porté les feux de la guerre au sein des plus vastes empires ? Et pour en citer un exemple à jamais mémorable, la ruine de Troye, et cette querelle envenimée où le sang des Dieux mêlé à celui des mortels, alla grossir les fleuves de l’Asie, n’ont-elles pas eu leur source dans les coupables amours de Paris et d’Hélène ? Voyez quelle immense carrière le génie du poète a parcourue ! Il ne s’agit plus d’une simple lutte entre deux Oiseaux : ce sont Achille et Hector ; ce sont deux puissantes armées en présence; ce sont les Grecs et les Troyens, et l’Olympe qui s’en partagé avec eux. Querelle envenimée est la traduction du mot plein d’énergie qui ouvre l’Iliade. Où du sang des Dieux même. Venus blessée par Diomède. Il est vrai qu’Homère ne mêle point le sang de cette Déesse aux eaux du Xanthe. Ce sang, à proprement parler, n’en étoit pas: ” ce n’est qu’une substance fluide, plus pure, en quelque sorte immatérielle,” La Fontaine use ici du privilège de la poésie naturellement hyperbolique.
Deux Coqs vivaient en paix : une Poule survint,
Et voilà la guerre allumée.
Amour, tu perdis Troie ; et c’est de toi que vint
Cette querelle envenimée,
Où du sang des Dieux même on vit le Xanthe teint.
Longtemps entre nos Coqs le combat se maintint :
Le bruit s’en répandit par tout le voisinage.
La gent qui porte crête au spectacle accourut.
Plus d’une Hélène au beau plumage
Fut le prix du vainqueur ; le vaincu disparut.
Il alla se cacher au fond de sa retraite,
Pleura sa gloire et ses amours,
Ses amours qu’un rival tout fier de sa défaite
………………………………….
Adieu les amours et la gloire.
Tout cet orgueil périt sous l’ongle du Vautour.
Enfin par un fatal retour
…………………………………
(3) Plus d’une Hélène au beau plumage. Le rapprochement se suit d’une manière aussi juste que gracieuse. On a toujours sous les yeux un grand spectacle dont le reflet absorbe le tableau qui est à l’opposite; mais sans le faire disparoître. M. l’abbé Aubert a profité de celte image dans sa fable intitulée les Coqs. L. III. f. 4.)
(4) Pleura sa gloire et ses amours, etc. On se rappelle le combat des Taureaux dans les Georgiques ;
Multa gemens ignominiam plagasque superbi
Victoria, tùm quos amisit inultus amores, etc.
(Georg. Liv. III. vers 226.)
Citons le morceau tout entier dans la traduction de M, l’abbé Delisle :
Souvent même troublant l’empire des troupeaux,
Une Hélène au combat entraîne deux rivaux:
Tranquille, elle s’égare en un gras pâturage.
Ses superbes amans s’élancent pleins de rage. …
Entr’eux point de traité : dans de lointains, déserts
Le vaincu désolé va cacher ses revers ,
Va pleurer d’un rival la victoire insolente,
La perte de sa gloire, et sur-tout d’une amante….
Mais l’Amour le poursuit jusqu’en ces lieux sauvages.
Là, dormant sur des rocs, nourri d’amers feuillages.
furieux, il s’exerce à venger ses affronts:
De ses dards tortueux il attaque des troncs;
Son front combat les vents, son pied frappe la plaine,
Et sous ses bonds fougueux il fait voler l’arène.
On voit que le traducteur est à La Fontaine, ce que lui-même est à Virgile.
(5) Tout cet orgueil périt sous l’ongle du Vautour, L’élan du poète s’est soutenu jusques-là. Il eût dû s’arrêter après ce vers. Tout le reste me semble peu digne de La Fontaine.