Madame Adèle Caldelar
Poétesse et fabuliste XIXº – Les deux Feuilles
Un amateur, dans son herbier,
Par hasard ou toute autre cause,
Près d’une feuille de palmier,
En avait mis une de rose.
Or, les charmes majestueux
De la magnifique étrangère,
Attiraient, fixaient tous les yeux.
De l’autre on ne s’occupait guère ;
Le plus souvent on lui jetait,
En passant un regard distrait,
Puis bien vite on tournait la page,
Ce qui lui semblait un outrage.
Pourtant, il faut le dire aussi,
Ce n’était pas toujours ainsi :
Et quelquefois, par aventure,
Il se trouvait des visiteurs
Dont sa gracieuse figure
Obtenait quelques mots flatteurs ;
Et même un jour, elle eut l’aubaine
De rencontrer des connaisseurs
Qui, voulant bien prendre la peine
De l’examiner de plus près,
Louèrent ses mignons attraits.
Mais, loin de retrouver du calme.
Son chagrin sembla s’en aigrir :
Et ne pouvoir devenir palme,
La faisait à ce point souffrir,
Qu’elle n’en pouvait plus dormir.
Insensible à toute autre chose,
C’est à cette métamorphose
Que, sur le duvet du vélin,
La pauvrette songeait sans fin.
Un jour qu’on avait par mégarde
Laissé, tout juste en cet endroit,
Le livre ouvert, elle regarde,
Et, sur une table, aperçoit
Des ciseaux placés tout près d’elle.
Aussitôt elle les appelle,
Comme la feuille du palmier
Les conjurant de la tailler.
Fort surpris de la fantaisie
Qui lui causait un tel émoi,
Ceux-ci lui dirent : — « Eh ! pourquoi ?
Ainsi, vous êtes si jolie !… »
— « Non, je suis laide à faire peur,
Vous dis-je, et brûle que ma forme
Soit en tout exacte et conforme
A cette palme. » — « Mais, d’honneur !
C’est que vous êtes si petite,
Et faite si différemment,
Que vous seriez assurément
De près des quatre quarts réduite ;
Ce serait un meurtre, vraiment ! »
— « De grâce, monsieur l’instrument ! »
La voix d’une feuille de rose,
Il le faut croire, est quelque chose
Oh ! quelque chose de si doux.
Qu’elle attendrirait des cailloux.
Puis, ce mot d’instrument encore
A l’outil semblait bien sonore.
Et, quoiqu’on l’eût fait tout d’acier,
En s’entendant ainsi prier,
Il ne trouva pas le courage
De lui résister davantage.
Il besogne donc, et si bien
Que, de son changement charmée,
La pauvre feuille est transformée,
Et ne ressemble plus à rien.
Mais de l’herbier bientôt le maître,
La voyant sans la reconnaître,
Dit : « — Qu’est-ce que cet avorton ?
C’est par erreur, la chose est sûre,
Qu’on l’a placé sur ce carton. »
Et, sans faire plus de façon,
L’ami de la simple nature,
De deux doigts saisissant soudain
Cet objet d’informe structure,
Le jette à terre avec dédain.
De nos grands écrivains, imitateurs serviles,
De nos peintres fameux, copistes malhabiles,
Hommes, vous tous, enfin, qui d’être vous cessez.
Au lieu de vous grandir, vous vous rapetissez.
Madame Adèle Caldelar, Les deux Feuilles