Un hiver très-rude avait fait périr une fourmilière ; deux citoyennes seulement avaient survécu à toute la république. Le printemps venu, elles se mirent en quête pour chercher leur nourriture et fournir le magasin ; car pour être moins nombreuses, il ne fallait pas moins penser à l’hiver suivant. Le printemps n’est pas l’époque des moissons pour les fourmis, non plus que pour les hommes. Les fleurs ne donnent ni à manger ni à boire ; elles promettent des fruits en été. Nos deux fourmis les attendirent, vivotant comme elles purent. Cette saison étant venue, elles cherchèrent ; mais placées dans une contrée fort pauvre, elles ne rencontraient que quelques grains de millet, que l’une d’elles dédaignait, et que l’autre ramassait, disant à sa camarade : « Prenons toujours ceci : quand on ne peut pas avoir beaucoup, il faut se contenter de peu ; et encore vaut-il mieux avoir un grain de millet, que de n’avoir rien. »
— « Fi de ton millet ! lui répondait l’autre ; je ne veux porter en magasin que des grains de beau froment ; un seul fait vivre six jours. » et elle continuait sa manière de faire. Ce malheureux été se passa tout entier comme ses premiers jours. L’une des fourmis ramassait tout ce qu’elle rencontrait ; l’autre cherchait son beau froment, qu’elle ne trouvait nulle part. L’hiver arriva ; plus de quête et, ce qui était plus désolant encore, rien dans le magasin. Sa commère la voyant alors fort en peine, la conduisit à son grenier, et lui montrant ses provisions : « Ces grains que tu ne daignais pas regarder, lui dit-elle, serviront à nous nourrir toutes deux, et te prouveront que la position la plus fâcheuse est celle de la fourmi qui n’a rien fait. Puisse-tu profiter de la leçon ! »
“Les deux Fourmis”