Deux loups s’entretenoient ensemble des brigandages de leur vie scélérate : car les méchants ont quelquefois des retours de vertu. « Nous sommes en exécration, disoit l’un d’eux: aussi nous fait-on sans cesse la guerre et vivons-nous dans des transes éternelles. Changeons de conduite, essayons de bien vivre; et alors, loin d’être redoutés, loin d’avoir nous-mêmes à craindre, nous serons partout honorés et chéris. Tu as raison, répondit l’autre, soyons bons; mais qu’imaginerons-nous pour l’être , et surtout pour convaincre de notre changement? »
En parlant ainsi, il aperçoit dans la campagne des moissonneurs qui coupoient les grains. Il propose à son camarade d’aller les aider. Celui-ci y consent,et voilà nos deux pénitents qui s’approchent des travailleurs. Mais dès qu’on les voit, on crie après eux et on les chasse à coups de pierres et de bâtons.
« Tu vois, dit alors un des loups, nous avons beau faire, on nous en veut, et tout, jusqu’à nos services, est imputé à crime. Eh bien! puisque nous sommes haïs, méritons de l’être, retournons au bois et faisons pis encore qu’auparavant. Ils le firent et tinrent parole.
Combien de fois n’est-il pas arrivé à des méchants de montrer ainsi des sentiments honnêtes; mais quand il s’agit de les mettre à exécution, ils trouvent bientôt un prétexte pour s’en dispenser.
“Les deux Loups”