Un loup malade, et gardant sa tannière,
Détestoit les forfaits de sa dent meurtrière,
Et le cœur bien contrit renonçoit à pécher.
Un autre loup voisin, son ami, son confrère,
Pour de nouveaux exploits accourut le chercher.
Le malade dévot se met à lui prêcher
La morale la plus austère.
Troublerons-nous, dit-il, sans cesse le repos
Et des bergers et des troupeaux ?
Sur leurs malheurs, hélas ! mon âme est attendrie ;
Grâce au ciel, je deviens aussi doux, aussi bon,
Qu’un mouton,
Et je vais l’être enfin le reste de ma vie.
Oui, si les dieux encor m’accordent quelques jours,
Je veux les employer à courir au secours
De tous les troupeaux du village.
Croîs-moi, devenons bonnes gens ;
Quel plaisir d’être aimé de tout le voisinage !
On vit très-bien de ratines, de glands.
N’es-tu pas effrayé, dégoûté du carnage ?
Les végétaux sont sains et plus appétissans.
Son voisin l’écoute, l’admire,
Mais craint que l’orateur ne soit dans le délire.
Il gémit, plaint son sort,
Fait ses adieux, et se retire.
Trois jours après, tremblant qu’il ne fût mort,
Il veut revoir le pauvre sire ;
Sans médecins, on guérit promptement ;
Il le trouve convalescent,
Et mangeant
Un jeune et tendre agneau ; puis aperçoit sa mère
Qui, dans un coin de la tannière,
Se débattoit encore, et pleuroit son enfant.
Oh ! oh ! dit-il alors, flânant la bonne chère,
Tu devenois mouton , disois-tu l’autre jour !
Tu prenois sa douceur, ses goûts, son caractère,
Et tu voulois désormais tour à tour
Protéger les troupeaux ainsi que la bergère ?
Ton pathétique et beau sermon
Avoit sur mon esprit fait telle impression,
Que j’allois me réduire au triste pâturage,
Brouter ou l’herbe ou le feuillage.
— Quoi ! tu serois si sot ?… On ne vit pas de rien.
Tiens, partageons, cher camarade ;
J’étois mouton, lorsque j’étois malade ;
Mais je suis loup, quand je me porte bien.
“Les deux Loups”
- La Marquise de la Ferrandière, 1736 – 1819