Sur le sommet d’un temple magnifique,
On voulut élever l’image de Pallas ;
Et pour ce monument toute une république
Mit en œuvre deux Phidias,
Grand prix pour qui feroit la plus belle statuë ;
On veut choisir. Un seul devoit avoir l’argent,
Et la gloire par conséquent ;
L’autre rien. Chacun s’évertuë,
Fait de son mieux ; honneur et gain
Pressent nos ouvriers, leur conduisent la main.
Ils ont bien-tôt achevé leur ouvrage ;
On le porte au parvis. Le peuple d’y courir.
Alors de tous les yeux l’un ravit le suffrage ;
L’autre à peine se peut souffrir.
Celui qu’on admiroit brilloit de mille graces ;
Tous les traits étoient délicats ;
Les contours arondis : bref, malgré ses menaces,
La critique n’y mordit pas.
L’autre n’étoit auprès qu’une marbre encor informe ;
Rien de fini ; chaque trait est grossier ;
Contours monstrueux, taille énorme :
Le peuple renvoyoit l’ouvrage à l’attelier.
Voilà le maître, et l’autre est l’écolier.
Tout beau, dit le sculpteur ; il faut nous éprouver.
Est-ce pour le parvis que ma statuë est faite ;
Sur le temple avec l’autre il la faut élever ;
Et vous verrez d’ici quelle est la plus parfaite.
On le fit, en plaignant les frais ;
Mais d’abord tout changea de face.
La statuë admirée en perdit tous ses traits ;
L’éloignement les confond, les efface.
L’autre par la distance acquiert toute la grâce.
Qu’on ne soupçonnoit point, en la voyant de près.
Il faut voir les choses en place.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les deux Statues.