Un Télégraphe aérien
Faisait jouer sa manivelle,
Et s’évertuait bel et bien
Pour annoncer une nouvelle.
Vains efforts ! un épais brouillard
Soudain couvre le ciel et masque son regard :
— « Voilà ma besogne entravée,
Se dit le pauvre diable en poussant un soupir,
» Ô l’abominable corvée ! »
— « Je comprends, cher voisin, tout votre déplaisir,
Dit un Télégraphe électrique,
D’un air qu’il s’efforçait de rendre sympathique :
» Je me suis souvent demandé
» Pourquoi vous prenez tant de peine ;
» Sur cet affreux moulin, où le sort vous enchaîne,
» Vous tordez vos grands bras comme un vrai possédé ;
» Dans quel but ? A quoi bon ? Vous devriez comprendre
» Qu’à lutter contre moi vous ne pouvez prétendre.
» Grâce à l’appareil que voilà,
» Votre dépêche interrompue
» Au bout de l’univers fût déjà parvenue ;
» Une seconde eût suffi pour cela.
» Croyez-moi, repliez vos ailes,
» Prenez planchettes et ficelles,
» Portez le tout au théâtre forain.
» Là, du moins avec quelque chance,
» Vous pourrez faire concurrence
» A Polichinelle ou Pantin. »
— « Peste ! vous vous tressez une belle couronne,
» Reprit l’Aérien ; de plus, à ma personne
» Vous n’épargnez pas les lazzis ;
» Permettez qu’à mon tour je vous donne un avis :
» A vous louer votre bouche un peu prompte,
» Du progrès ne tient aucun compte ;
» Ce qu’elle n’a pas dit, la mienne le dira :
» Le progrès m’a tué, Messire, il vous tuera.
» Je me souviens qu’en ma jeunesse
» J’ai reçu force ovations :
» Entouré d’hommages sans cesse,
» Je fus loué, chanté sur tous les tons ;
» Il est vrai qu’en ce temps de gloire
» Chaque dépêche annonçait la victoire.
» Comment finit ce règne fortuné ?
» Je me vois par vous détrôné :
» C’est la loi du progrès ; n’oubliez pas, mon maître,
» Qu’elle doit vous atteindre un jour ;
» Voisin, vous aurez votre tour ,
» Tôt ou tard , dès demain peut-être ;
» Heureux si vous pouvez, à vos derniers instants,
» Éviter le mépris, les propos insultants ! »
Le Télégraphe électrique
A ce discours ne fil nulle réplique :
C’était agir en loyal concurrent,
Car on doit du respect aux avis d’un mourant,
Dont la parole est souvent prophétique !
“Les deux Télégraphes”