Parmi la foule des partans
De tous les âges, de tous rangs,
Que conduisent le dieu Mercure,
Pêle-mêle, sur sa voiture,
Jusqu’à la région obscure ;
Etoit un couple de tyrans,
Qui, tous deux, malgré leur armure,
S’entr’attaquant, outre mesure,
Avoient cessé d’être vivans.
L’agresseur gardoit le silence ;
L’autre le rompt : Parle, brigand !
Tu vivois dans le même rang
Où me plaça la Providence ;
Quel motif rempli de démence,
Te fit m’attaquer ? Ton bonheur,
Répondit l’autre, et l’espérance
D’en obtenir la jouissance.
Je ne voyois pas, sans fureur,
Ton luxe, ta magnificence,
Ton peuple vivant dans l’aisance,
Quand le mien, sauvage à demi,
Ayant le sol pour ennemi,
Pour une subsistance dure,
Sembloit violer la nature.
Tu me croyois donc très-heureux ?
Reprit alors son adversaire ;
Eh bien ! nous nous trompions tous deux.
Car ]e pensois tout le contraire.
Maître d’un peuple efféminé,
A l’indolence abandonné,
Sans sentimens, sans énergie,
Ton destin me faisoit envie.
Pour mettre à couvert mes états,
Je n’y trouvois point de soldats,
Et, pour défendre ma couronne,
J’ai dû payer de ma personne.
Que conclure de nos revers ?
L’envie a les yeux de travers.
“Les deux Tyrans”