Conduits par le fouet d’un enfant,
Deux vieux chevaux, clopin-clopant,
S’en allaient à l’équarrissage.
Ils prouvaient, tout en cheminant,
Que ni la misère ni l’âge
Ne suffisent à rendre sage,
Et que le travers dominant
Des gens d’ici-bas est la rage
De passer pour un personnage
Et de s’estimer important.
Nous sourions, nous autres hommes : .
C’est pourtant ainsi que nous sommes.
Pour nous est-ce un mal ? Est-ce un bien ?
A vrai dire, je n’en sais rien.
Il est beaucoup de gens peut-être
Qui, s’ils se voyaient tels qu’ils sont,
Rougiraient fort de le paraître
Et n’oseraient lever le front.
Je reviens à mes haridelles.
L’une voulait marcher devant,
L’autre en prétendait faire autant,
Et de là venaient leurs querelles.
— Toi, me dépasser ! De quel droit ?
Rien qu’à ton poil usé l’on voit
Que tu fus toujours une rosse,
Indigne même d’un carrosse,
Et bonne à traîner tout au plus
Des fiacres ou des omnibus.
Apprends qu’en mainte circonstance
Les journaux ont parlé de moi.
Que dans vingt courses je fus roi,
Qu’enfin je suis d’une naissance
A ne pas souffrir l’insolence
D’un misérable tel que toi !
— Holà ! repartit en colère
Le compagnon de route. Arrière !
Tu m’outrages ! Y songes-tu ?
Or sus ! Arrière donc, canaille!
Moi je fus cheval de bataille,
C’est à moi que l’honneur est dû ! —
Pendant que l’une et l’autre bête
Ainsi se disputaient le pas,
Leur voyage finit, hélas !
Tous deux de front, dressant la tête,
Ils franchirent le seuil fatal.
L’un crut entrer au Tattersall,
Et l’autre au camp de la victoire :
On en fit du noir animal.
C’est ainsi que passe la gloire.
“Les deux vieux Chevaux”