Dans l’égypte jadis toute bête étoit dieu ;
Tant l’homme au contraire étoit bête !
Tel animal ailleurs, qui n’a ni feu ni lieu,
Avoit là son temple et sa fête.
On avoit fait un jour dans le temple du chat
D’un rat blanc et sans tache un pompeux sacrifice.
Le lendemain, c’est le tour du dieu rat :
Il faut, pour le rendre propice,
Qu’à ses autels un chat périsse.
Maître matou marchoit de festons couronné,
Et de prêtres environné.
Du dieu rat jusqu’aux cieux on portoit la loüange.
Strophe, antistrophe, épode, harmonieux ramas :
Petits faits et grands mots ; pindarique mélange.
Chacun prioit le dieu de menager sa grange.
Ne nous punissez point des insultes des chats,
Disoit-on : que le sang de celui-ci vous venge.
Lui dieu ! Disoit le chat. Et ! Vous n’y pensez pas :
Qui suis-je donc moi qui le mange ?
Hier c’étoit pour moi que fumoit l’encensoir ;
Aujourd’hui mon trépas vous paroît légitime.
Pourquoi passer ainsi du blanc au noir ?
J’étois dieu ; me voilà victime.
Reproche embarrassant qu’on ne résolut point.
Nous sommes tous d’égypte, et leur mode est la nôtre.
Quels sont nos dieux ? Nos passions,
Que suivant les occasions
Nous immolons tour à tour l’une à l’autre.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les Dieux d’Egypte.