Jean-Pons-Guillaume Viennet
Poète, fabuliste XVIII° siècle – Les Horloges de Charles-Quint
Lassé du trône et de la cour,
Jeté par ses ennuis au fond d’un monastère,
Dans ce calme et pieux séjour,
Charles-Quint s’ennuyait de n’avoir rien à faire.
Il prit pour passe-temps la lime et le ciseau.
C’était moins lourd qu’un sceptre ; et de ses mains savantes
Il façonna quatre horloges sonnantes,
Qu’il rangea devant lui sur le même trumeau.
Mais leurs aiguilles discordantes
Ne furent pour ses yeux qu’un supplice nouveau.
En vain à les régler s’exerçait son génie ;
Il les accordait le matin,
Le soir, chacune allait suivant sa fantaisie.
Il y perdit son temps et son latin.
Il en prit de l’humeur, et sa main un peu rude
En éclats à ses pieds fit choir l’un des cadrans.
Pardonnez-lui ce péché d’habitude:
Il avait régné quarante ans.
Celui-ci fut très-court. Il rit de sa folie.
» Moi, qui n’ai pu, « dit-il, » accorder de ma vie
Catholiques et protestants,
Mes ministres, mes lieutenants,
Mon Espagne et ma Germanie,
Entre les œuvres de mes mains,
Insensé, je voudrais établir l’harmonie,
Quand Dieu, dont la puissance est, dit-on, infinie,
N’a pu mettre l’accord quatre cerveaux humains !«
Charles-Quint, à ces mots, reprenant son bréviaire,
Se rassit et lit sa prière.
L’art a, depuis ce temps, grandement cheminé.
Les Breguets ont discipliné
Leurs créatures mécaniques ;
Mais des horloges politiques
Le Breguet encor n’est pas né.
Jean-Pons-Guillaume Viennet, Les Horloges de Charles-Quint