Le Médecin Tant-pis allait voir un malade
Que visitait aussi son confrère Tant-mieux ;
Ce dernier espérait, quoique son camarade
Soutînt que le gisant irait voir ses aïeux.
Tous deux s’étant trouvés différents pour la cure,
Leur malade paya le tribut à Nature,
Après qu’en ses conseils Tant-pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L’un disait : il est mort, je l’avais bien prévu.
– S’il m’eût cru, disait l’autre, il serait plein de vie.
Analyses de Chamfort – 1796.
Cette fable est moins un apologue qu’une épigramme.
Comme telle, elle est même parfaite, et elle figurerait très-bien parmi les épigrammes de Rousseau. (Les Médecins)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Le Médecin Tant-pis, etc.
Pline le jeune vante quelque part un poète comique de son temps, très-heureux, dit-il, dans le choix des noms qu’il invente ( Epist. L. VI. ep.21. ad Canin). Cet éloge, appliqué à La Fontaine, lui con vient parfaitement. Il a créé, pour l’apologue, un Vocabulaire nouveau. Molière en avoit fait autant pour la comédie ; mais il y a, dans la nomenclature de l’un et de l’autre, la même différence que dans le genre. Les traits de la comédie sont ceux de la satyre : les jeux de l’apologue sont ceux d’un enfant malin. Ainsi le Diaphoirus de Molière devient Médecin Tant-pis de La Fontaine.
Si les surnoms plaisants, donnes aux deux esculapes, appartiennent au fabuliste, l’anecdote elle-même pourroit tenir à l’histoire. Les satyres de Boileau ont immortalisé une de ses belles-sœurs, sans mal toujours malade, que visitoient deux médecins, dont l’un M. Perrault, étoit pour elle le Médecin Tant-pis; l’autre , M. Rainsaut, étoit le Médecin Tant-mieux.
(*) Esope a deux fables sous le même titre : le Médecin et le Malade , fab. 31, et le Malade et le Médecin , qui se rapproche plus que la première du sujet de notre Apologue français.