Bernard-François-Anne Fonvielle
Il n’est point d’ennemi qui soit à mépriser.
Le plus fort n’est souvent que le moins redoutable.
Sachant ce dont il est capable,
Voyant tout ce qu’il peut oser,
Je puis, à la prudence alliant le courage,
Déjouer ses complots et défier sa rage.
Mais qu’opposera d’obscurs malveillant
Dont mes dédains insoucians
Ont laissé pulluler l’engeance misérable ,
Lorsque, nombreux comme les grains de sable
Qui de Thetis ceignent les vastes flancs ,
Et plus fougueux que ses flots turbulens,
Je verrai tout-à-coup leur essaim formidable
Envahir jusqu’à mon manoir?
Ici, combattre est inutile.
Fussé-je Hercule ; eussé-je nom Achille ;
Pour mon salut il n’est plus qu’un espoir »
Une fuite honteuse est mon unique asile.
C’est ce que va nous faire voir
Ce conte-ci, qui n’est point une fable,
Mais une histoire véritable
Que je tiens de fort bonne part.
En voici le récit sans apprêt et sans fard.
Jouet des vents et battu par l’orage,
Dans une mer lointaine un vaisseau de haut bord,
Brisé par un rescif en cherchant un abord,
Périt avec son équipage.
Le pilote et deux matelots,
Echappés, par miracle, à la fureur des flots,
Purent seuls gagner le rivage.
Mais c’était un désert sauvage,
Vierge du soc, du vieux monde ignore :
Nul abri ne s’offrant à leur œil effaré ,
Bientôt l’horrible faim aurait, sans leur courage,
Achève l’œuvre du naufrage.
Neptune, par bonheur, apaise son courroux.
Au noir tableau de ses eaux en furie,
Succède l’objet le plus doux :
C’est le vaisseau flottant sur une mer unie,
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Lui-même, comme moi, le prit un jour, dit-on.
Il arriva pourtant et reçut son jeton.
Peu craintif de votre férule,
Je l’imite ici sans scrupule. Il fut original !
Je veux l’être à, mon tour.
Assez long-temps, à la ville, à la cour,
Œuvre de mon insouciance,
J’ai de mon siècle ingrat subi l’indifférence.
Je la repousse enfin ! La justice d un jour
De trente ans de dédain doit réparer l’offense.
Telle on a vu naguère, à la voix d’un héros
Des jeux brillans de Mars lui r’ouvrant la carrière,
La France, lasse de repos,
Tout-à-coup retrouvant son audace guerrière,
Réhabiliter ses drapeaux :
Telle, rendue à sa vigueur première,
Ma Muse septuagénaire
Se réveille indignée, et dans un saint transport.
Fixant de l’avenir la carrière infinie,
Sûre, par un dernier effort,
D’étouffer dans ses bras le démon de l’envie ,
Aux portes du tombeau ressaisira la vie
Dans le sein même de la mort.
Le 22 septembre 1827 – Les Naufragés et les Fourmis.