Nicolas François de Neufchâteau
Fable nouvelle, pour orner la mémoire des petits sans-culottes
Dom Porc avec dame panthère,
Fut uni dans un bois par les soins d’un renard
Fort subtil, mais par fois un peu visionnaire.
Cet hymen monstrueux produisit, assez tard,
Un fruit bien extraordinaire.
Qu’eût-on voulu qu’il arrivât
De ce lien contre nature!
La panthère au pourceau fit présent d’un louvat ,
D’un tel accouplement digne progéniture.
La vorace famille, aux hôtes des forêts,
Enlevoit toute la pâture ;
Nul ne pouvoit plus vivre auprès;
Tout étoit dévasté. Dom pourceau dans la fange
Se vautroit, et trouvoit tout bon;
Rien n’échappoit aux dents de sa femelle étrange;
Il fallait au louvat, chaque jour, un mouton.
A ces bêtes, sur leur demande,
On assigna d’abord les pâtés les pins gras;
On leur fit une part qui n’étoit que trop grande;
C’étoit obliger des ingrats.
Dom porc juroit tout haut d’y borner sa provende;
Mais il se dédisoit tout bas.
Le bois fut en rumeur, ses hôtes se lassèrent
De ce trio si dangereux.
Ils étaient les plus forts et les plus valeureux;
Contre dom porc ils s’avanceront ;
Lui, d’avance, en secret, avoit armé contr’eux
Des sangliers qu’ils terrassèrent.
Pendant ce grand combat, notre porc avoit fui,
Se cachant loin de ceux qui se battoient pour lui;
On le trouve hors de sa bauge,
Avec dame panthère, et le beau petit loup.
On les musèle pour le coup.
Dans le creux d’un arbre on les loge;
On règle leur pitance, et dom porc à son auge,
Se remet à manger, sans s’émouvoir beaucoup.
Pour la dame panthère, en sa rage effroyable,
Elle regrette le bon temps,
Où sa gueule irrassasiable,
Affamoit de ce bois les pauvres habitans.
Elle espère toujours, que de la forêt Noire,
Les hyènes ses sœurs , ses alliés les ours,
Accourant tous à son secours,
De la démuseler auront bientôt la gloire.
Autour de la forêt, ces monstres ont rodé.
Y pénétreroient-ils ? il ne faut pas le croire;
Non, le bois est trop bien gardé.
Quant au fils de la dame panthère,
On lui rive les dents, et L’on prend tous les soins
Afin que s’il grandit, il n’ait jamais, du moins,
L’appétit de ses père et mère.
“Les Petits sans-culottes”