Certain peuple un peu sot, dont je tais le pays,
Adorait dans son temple une idole fameuse.
Mais ce dieu , plus fêté qu’un danseur à Paris,
N’était qu’une machine creuse
Où de profanes souris
Avaient logé leur famille nombreuse.
Quand les dévots se retiraient,
Laissant leur pieuse offrande,
Aussitôt les rats descendaient,
Et sur les mets sacrés cette vorace bande
Officiait par contrebande.
Le lait, le miel, la chair et les gâteaux ,
Bien bénis, bien choisis pour des bouches célestes,
Engraissaient de vils animaux.
Le dieu, s’il eut mangé, n’aurait eu que des restes.
Un jour pourtant il se fâcha
De ce scandale abominable,
Et vertement aux souris reprocha
D’oser braver les dieux, et se mettre à leur table.
Mais la gent parasite, au lieu de s’effrayer,
Rit beaucoup de la réprimande.
« Il est plaisant, ce mannequin d’osier,»
Rit beaucoup de la réprimande.
« Il est plaisant, ce mannequin d’osier,»
Dit même un Ciréron de la troupe gourmande,
« Et je ne croyais pas que les dieux fussent fous.
« Il le sied bien , misérable fétiche ,
« De te plaindre de nous.
« Sais—tu pourquoi ton temple est riche,
« Pourquoi mille dévots te consacrent leur foi?
« C’est qu’ils pensent que tu digères
« Les offrandes journalières
« Que nous dévorons pour toi.
« Depuis long-temps sans nous , avec ignominie ,
« Comme un bois impuissant au feu l’on t’eût jeté;
« Souffre notre gloutonnerie,
« Qui fait ta divinité. »
Celui qui veut imposer au vulgaire
Doit savoir endurer les outrages secrets.
On verrait plus d’un grand inconnu sur la terre,
Sans les jongleurs qui vivent à ses frais.
“Les Rats du temple”