Il est au Mogol des follets
Qui font office de valets,
Tiennent la maison propre, ont soin de l’équipage,
Et quelquefois du jardinage.
Si vous touchez à leur ouvrage,
Vous gâtez tout. Un d’eux près du Gange autrefois
Cultivait le jardin d’un assez bon Bourgeois.
Il travaillait sans bruit, avait beaucoup d’adresse,
Aimait le maître et la maîtresse,
Et le jardin surtout. Dieu sait si les zéphirs
Peuple ami du Démon l’assistaient dans sa tâche !
Le follet de sa part travaillant sans relâche
Comblait ses hôtes de plaisirs.
Pour plus de marques de son zèle,
Chez ces gens pour toujours il se fût arrêté,
Nonobstant la légèreté
A ses pareils si naturelle ;
Mais ses confrères les esprits
Firent tant que le chef de cette république,
Par caprice ou par politique,
Le changea bientôt de logis.
Ordre lui vient d’aller au fond de la Norvège
Prendre le soin d’une maison
En tout temps couverte de neige ;
Et d’Indou qu’il était on vous le fait lapon.
Avant que de partir l’esprit dit à ses hôtes :
On m’oblige de vous quitter :
Je ne sais pas pour quelles fautes ;
Mais enfin il le faut, je ne puis arrêter
Qu’un temps fort court, un mois, peut-être une semaine,
Employez-la ; formez trois souhaits, car je puis
Rendre trois souhaits accomplis,
Trois sans plus. Souhaiter, ce n’est pas une peine
Etrange et nouvelle aux humains.
Ceux-ci pour premier voeu demandent l’abondance ;
Et l’abondance, à pleines mains,
Verse en leurs coffres la finance,
En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins ;
Tout en crève. Comment ranger cette chevance ?
Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut !
Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.
Les voleurs contre eux complotèrent ;
Les grands Seigneurs leur empruntèrent ;
Le Prince les taxa ! Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune.
Otez-nous de ces biens l’affluence importune,
Dirent-ils l’un et l’autre ; heureux les indigents !
La pauvreté vaut mieux qu’une telle richesse.
Retirez-vous, trésors, fuyez ; et toi Déesse,
Mère du bon esprit, compagne du repos,
O médiocrité, reviens vite. A ces mots
La médiocrité revient ; on lui fait place,
Avec elle ils rentrent en grâce,
Au bout de deux souhaits étant aussi chanceux
Qu’ils étaient, et que sont tous ceux
Qui souhaitent toujours et perdent en chimères
Le temps qu’ils feraient mieux de mettre à leurs affaires.
Le follet en rit avec eux.
Pour profiter de sa largesse,
Quand il voulut partir et qu’il fut sur le point,
Ils demandèrent la sagesse :
C’est un trésor qui n’embarrasse point.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 11. Peuple ami du démon. . . .
C’est-à-dire , ami de cet esprit, de ce folet.
V. 43. Les grands seigneurs leur empruntèrent.
Comme La Fontaine glisse cette circonstance avec une apparente naïveté !
V.49… Trésor, fuyez : et toi , déesse , Mère du bon esprit…..
On voit que La Fontaine parle ici d’abondance de cœur. C’est ce sentiment qui anime ici son style, et lui inspire cette invocation.
V. 53. Avec elle ils rentrent en grâce.
Ne dirait-on pas que c’est une souveraine à la clémence de laquelle il faut recourir, quand on a fait l’imprudence de la quitter pour la fortune ?
V. 58. Le follet en rit avec eux.
La Fontaine, au commencement de cette fable, a établi que le folet était l’ami de ces bonnes gens, et s’intéressait véritablement à eux. Cependant le folet n’a aucun regret qu’ils aient perdu cette abondance tant désirée. Il en est au contraire fort aise , parce qu’il voit qu’ils seront plus heureux dans la médiocrité. Peut-on rendre la morale plus aimable et plus naturelle ?
Commentaires de MNS Guillon – 1803.

(1) Il est au Mogol, Le Mogol, royaume voisin de la Perse et des Indes, est une de ces riches contrées de l’Asie que le génie des Orientaux a peuplées d’Esprits aériens, substances chimériques diversifiées entre elles sous les noms de Péris , de Ginhs ou Gnomes : espèces de fées ou enchanteurs , ou esprits follets. Ces derniers, destinés à des emplois subalternes, sont bien caractérisés par ce qu’en dit La Fontaine.
(2) Les Zéphirs, peuple ami du Démons zéphirs, vents doux, favorables aux plantes et aux fruits. Leurs représentations sont par-tout, dans les conversations comme dans les monumens. Démons, Génies, Larves , tous tous noms sont synonymes dans le langage mythologique, et jusques dans le vocabulaire de Platon, de Maxime de Tyr, de Plutarque et d’Apulée. On connoit les traités composés par ces deux derniers sur le génie de Socrate, ou génie …lire la suite