Pañchatantra ou fables de Bidpai
5e. Livre – VIII. — Les Souhaits
Il y avait dans un endroit un tisserand nommé Mantharaka. Comme un jour il tissait des étoffes, tous ses bois de tisserand se brisèrent. Alors il prit une hache, courut de tous côtés pour chercher du bois, et arriva au bord de la mer. Là il vit un grand arbre sinsapâ, et pensa : Voici un grand arbre; si je le coupe, j’aurai beaucoup d’instruments de tissage. Après avoir ainsi réfléchi, il leva la hache sur le sinsapâ. Mais dans cet arbre résidait un esprit, qui dit : Hé ! cet arbre est ma demeure; il faut donc absolument l’épargner, car ici le vent, rafraîchi par le contact des flots de la mer, touche mon corps, et je suis très-heureux. — Hé ! dit le tisserand, que dois-je donc faire ? Si je n’ai pas d’outils de bois, ma famille souffrira de la faim. Va-t’en donc vite ailleurs, afin que je coupe cet arbre. — Hé ! répondit l’esprit, je suis content de toi; demande quelque chose que tu désires, mais épargne cet arbre. — Si c’est ainsi, dit le tisserand, je vais à la maison, consulter mon ami et ma femme, et je reviens; ensuite tu me donneras ce que je demanderai. L’esprit répondit oui, et le tisserand retourna très-joyeux à sa maison. Comme il entrait dans l’endroit, il vit son ami le barbier, et dit : Ah ! ami, j’ai gagné la faveur d’un esprit ; dis-moi donc ce que je dois demander.
— Mon cher, dit le barbier, si c’est ainsi, demande la royauté, afin que toi roi et moi ton ministre, après avoir joui tous deux du bonheur dans ce monde, nous jouissions du bonheur de l’autre monde. Et l’on dit :
Un roi qui est généreux acquiert toujours de la gloire ici-bas, et devient ensuite, dans le ciel, l’égal des dieux par la vertu de sa générosité.
Hé, ami ! dit le tisserand, soit ! mais je vais demander avis aussi à ma femme. Le barbier répondit : Il n’est pas convenable de tenir conseil avec les femmes. Et l’on dit :
Que le sage donne aux femmes la nourriture, le vêtement, et surtout l’accointance conjugale, la parure et autres choses, mais qu’il ne tienne pas conseil avec elles.
Et ainsi :
Là où une femme commande, là où un joueur, là où un enfant est maître, la maison se ruine, a dit le fils de Bhrigou .
En outre :
Un homme est éminent et se plaît avec les gens respectables tant qu’il n’écoute pas en secret les paroles des femmes.
Les femmes ne pensent qu’à leur intérêt et ne songent qu’à leur plaisir, car leur fils même ne leur est plus cher s’il ne leur donne pas de satisfaction.
Quoique cela soit vrai, dit le tisserand, il faut néanmoins que je consulte cette femme dévouée. Après avoir ainsi parlé à son ami, il alla vite vers sa femme et lui dit : Ma chère, aujourd’hui j’ai gagné la faveur d’un esprit, il me donnera ce que je désirerai. En conséquence je viens te consulter; dis-moi donc ce que je dois demander. Mon ami le barbier me dit pourtant de demander la royauté. Elle répondit : Fils d’un vénérable, quelle intelligence ont les barbiers ? Il ne faut pas faire ce qu’ils disent. Et l’on dit :
Que le sage ne tienne pas conseil avec des danseurs, des chanteurs, des gens de basse condition, des barbiers, des jardiniers, ni avec des mendiants.
Outre cela, la condition de roi est une suite continuelle de peines, parce qu’il faut penser à la paix, à la guerre, à l’attaque, à la défense, à l’alliance offensive et défensive, à la duplicité, et cetera. Jamais elle ne donne de satisfaction à l’homme. Car
Quand on désire la royauté, l’esprit doit être préparé aux infortunes, car les vases, au moment du sacre des rois, versent le malheur avec l’eau ‘.
Comme les frères et même les propres fils des rois désirent attenter à leur vie pour la royauté, qu’on laisse loin la royauté.
Tu dis vrai, reprit le tisserand; que dois-je donc demander ?— Jusqu’ici, répondit-elle, tu ne fais jamais qu’une pièce d’étoffe. Avec cela nous payons toutes nos dépenses. Mais maintenant demande pour toi une autre paire de bras et une seconde tête, afin de fabriquer une pièce d’étoffe par devant et une par derrière. Alors avec le prix de l’une nous payerons les dépenses de la maison ; avec le prix de la seconde tu feras ce qu’il restera à faire : tu seras un objet d’éloges au milieu de ta caste pendant ta vie, et tu gagneras les deux mondes.
Lorsque le tisserand eut entendu cela, il dit avec joie : Bravo, femme fidèle ! tu as bien parlé; je ferai ainsi, c’est ma résolution. Ensuite le tisserand alla vers l’esprit et fit sa demande : Hé ! si tu veux me donner ce que je désire, donne-moi donc une seconde paire de bras et une seconde tête. A peine eut-il dit, qu’à l’instant même il eut deux têtes et quatre bras. Puis, comme il retournait à la maison le cœur joyeux, les gens crurent qu’il était un râkchasa ; ils le frappèrent à coups de bâtons, de pierres, et cetera, et il mourut. Voilà pourquoi je dis :
Celui qui n’a pas par lui-même de sagesse, et qui ne suit pas le conseil d’un ami, va à sa perte, comme le tisserand Manthara.
Le brahmane à la roue continua : Tout homme qui a en lui le démon d’un espoir auquel il ne faut pas ajouter foi tombe dans le ridicule. Et certes on dit ceci avec raison :
Celui qui forme un projet irréalisable, impossible, reste blanc dans son lit comme le père de Somasarman.
Comment cela ? dit le magicien à l’or. Le brahmane à la roue dit :
“Les Souhaits”
- Panchatantra 67