Avec beaucoup de peine, et surtout de grands soins,
Une hirondelle avait bâti, pour ses besoins,
Un nid des plus charmants, de forme très-correcte
Où, grâce au vrai talent de l’habile architecte,
Les charmes du bon goût et les beautés de l’art
Dans un accord parfait brillaient de toute part.
Heureuse en son logis, si bien fait pour lui plaire,
Et sentant qu’elle allait bientôt devenir mère,
Notre hirondelle avait, à coup sur, bien raison
De tenir à son nid et d’aimer sa maison.
Aussi, ne voyait-on la belle
Abandonner son toit, et sortir de chez elle,
Que pour aller, bien vite, happer aux environs
Des insectes ailés, surtout des moucherons,
Dont, pour sa nourriture,
Elle faisait, au vol, ample déconfiture ;
Puis la faim assouvie, et le gésier garni,
Vite elle revenait s’enfermer dans son nid.
Or donc, un jour que l’hirondelle
Fesait aux moucherons une chasse cruelle,
Un moineau, son voisin, terrible bataillard,
Effronté, fier voleur, et surtout grand piaillard,
Qui convoitait de loin la case séduisante,
Se glissa dans le nid de l’hirondelle absente ;
Et, comme un franc larron, orgueilleux du succès,
S’en empara tout net, sans forme de procès.
De retour, l’hirondelle, affreusement surprise
Voit sa place occupée et sa demeure prise
Par un individu plus qu’étrange et suspect
Qui, lui tombant dessus, la chasse à coup de bec.
La malheureuse en vain se récrie et proteste
Contre un vol aussi grave et par trop manifeste ;
Et, recourant enfin aux moyens de douceur.
Elle invoque son droit, la justice et l’honneur ;
Mais le larron, pouffant d’un rire satanique,
La laisse débiter, puis, lui faisant la nique,
Pivote sur ses pieds et lui tournant le dos,
Se renferme chez lui bien tranquille en repos.
De tant d’audace outrée, et frémissant de rage,
L’hirondelle s’en va, dans tout le voisinage
De logis en logis, raconter à ses sœurs
Ses peines, ses chagrins, ses tourments, ses malheurs.
Les priant de l’aider à chasser de chez elle
Cet infâme larron, cette bête cruelle
Qui se pavane dans son nid,
Et, s’y maintient avec un toupet infini.
Sensible à la douleur d’une sœur malheureuse,
D’hirondelles bientôt une troupe nombreuse
S’assemble autour du nid où l’infâme moineau
Se rengorgeant du mieux, se gonfle et fait le beau ;
Puis, leur chef s’avançant en tête de la bande,
S’approche du larron et poliment demande
Qu’il veuille à l’hirondelle abandonner son nid,
Sous peine de se voir très-justement puni ;
Mais le moineau s’en moque, et d’un air peu modeste,
Répond en souriant.— « Je suis bien et j’y reste. »
« C’est bon ! repart le chef, si tu te trouves bien,
« Restes-y donc toujours, et ne disons plus rien. »
Sur un signe aussitôt toutes nos hirondelles,
S’éloignant à grands cris, s’en vont, à tire d’ailes,
Vite chercher aux champs ce solide mortier
Qu’elles gâchent si bien à l’aide du gosier ;
Et revenant bientôt, le bec rempli de fange,
Elles bouchent en plein, avec un tact étrange,
L’ouverture du nid, et forcent le moineau
A mourir enfermé dans un affreux tombeau.
Grands, qui faites abus d’une inique puissance
Des faibles redoutez la terrible vengeance.
“L’Hirondelle et le Moineau”