L’Hirondelle et les petits Oiseaux, analysée par C. Hygin-Furcy :
(Livre I. — Fable 8.)
Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres, El ne croyons le mal que quand il est venu.
L’AMIRAL BONNIVET A LA BATAILLE DE PAVIE, (1525).
Le roi François Ier assiégeait Pavie, qu’Antoine de Leyva défendait depuis quatre mois. Le connétable de Bourbon arrivait à marches forcées, à la tête d’une formidable armée, dans le dessein de secourir la place. Les troupes françaises étant bien inférieures en nombre, le roi tint un grand conseil pour décider s’il fallait risquer une bataille décisive.
L’avis de tous les vieux capitaines, comme Saint-Séverin, Louis d’Ars, le maréchal de Chabannes, la Trémouille, et même celui du jeune maréchal de Foix, fut qu’il était prudent d’éviter le combat et de lever le siège : ils insistaient avec raison sur ce point, sachant que l’armée impériale était forcée de combattre de suite, parce qu’elle se composait de soldats mercenaires que la pénurie des finances de l’État ne permettait pas de solder longtemps exactement.
Malgré l’opinion unanime du conseil, François Ier désirait combattre ; il croyait son honneur compromis, s’il se retirait devant l’ennemi. L’amiral Bonnivet prit alors la parole, et, plus courtisan que général habile, il dit qu’une victoire dégagerait la place et couvrirait le roi de gloire. A cet imprudent avis, le maréchal de Chabannes répliqua, en démontrant la difficulté de la position et le peu de chances de succès ; mais le jeune amiral l’interrompit en lui disant : « Vous parlez plus selon votre âge que selon votre cœur, mais le roi a plus de foi en votre valeur qu’il n’a besoin de votre prudence. » Cet avis prévalut, et Ton se résolut à attendre l’ennemi.
Comme l’armée française cernait Pavie, il fallait, pour porter secours à la ville, forcer les murailles du parc de Mirbel, qui était compris dans la circonvalation, et où toute l’artillerie et l’arrière-garde étaient retranchées. L’avant-garde, commandée par le maréchal de Chabannes, et le corps de bataille sous la conduite du roi lui-même , occupaient la partie voisine du parc qui dominait toute la campagne.
Dans la nuit du 23 au 24 février 1525, les impériaux simulèrent une attaque pour occuper les Français d’un côté, puis s’avancèrent en silence vers le parc de Mirbel, dont il sapèrent les murailles : au point du jour ils entrèrent en foule par la brèche, en se dirigeant les uns vers le camp ennemi, les autres vers la ville. En cette occasion, Galiot de Genouillac dirigea l’artillerie avec tant de précision que les impériaux restèrent indécis, puis bientôt furent dans le plus grand désordre. Ce corps de troupes séparé du gros de l’armée, aurait été totalement anéanti par notre canon, si malheureusement François Ier, n’écoutant que son ardeur, n’eût eu l’imprudence de se jeter sur les fuyards et de sortir du parc avec toute sa gendarmerie, masquant ainsi nos propres batteries en empêchant l’effet. Les Espagnols, les Allemands et les Italiens, commandés par Pescaire, le connétable de Bourbon et Lannoy s’avancèrent contre François Ier, tandis qu’Antonio de Leyva faisait par derrière une sortie vigoureuse. Chabannes et le duc d’Alençon voyant la bataille engagée en rase campagne, abandonnèrent leurs positions et coururent dans la plaine pour former l’un l’aile droite et l’autre l’aile gauche de l’armée française. Le combat devint général; il fut terrible, et chaque antagoniste y déploya une grande valeur.
Déjà les bandes noires, soldats étrangers à la solde de la France étaient totalement détruites par les lansquenets de Bourbon qui, portant alors leurs efforts sur l’aile droite, l’enfoncèrent également, malgré les prodiges de valeur du maréchal de Chabannes, qui fut tué dans l’action. Au corps de bataille, François Ier abattait tout ce qui était devant lui ; les Italiens avaient fui sous les coups des valeureux hommes d’armes qui l’accompagnaient, mais les Espagnols soutenaient le choc. Ils se servirent en cette occation de 1,500 arquebusiers basques d’une agilité extrême, et qui étaient depuis longtemps dressés à ce genre de combat : ces fantassins s’approchaient des rangs serrés de la gendarmerie française toute bardée de fer , faisaient une décharge, s’enfuyaient s’abriter derrière les cavaliers qui étaient aux mains avec les Français, puis retournaient décharger leur arquebuse. Le roi croyant éviter le ravage que ces Basques causaient parmi ses hommes d’armes, dont les rangs étaient serrés, leur ordonna de les élargir pour que la mousqueterie eût sur eux moins de portée. Le mal fut encore plus grand: les arquebusiers se mêlaient parmi les cavaliers, déchargeaient leur arme à bout portant, et cette gendarmerie, jusqu’alors invincible, fut détruite par cette troupe irrégulière mais insaisissable, dont la force consistait clans la fuite. La Trémouille, Saint-Séverin, Louis d’Ars, les comtes de Tournon et de Tonnerre, furent tués avec quantité d’autres vaillants chevaliers.
Le duc d’Alençon, beau-frère du roi, au lieu de venir au secours du corps de bataille avec l’aile gauche tout entière, s’épouvanta et fit sonner la retraite. Au milieu de la confusion générale, on vit alors un magnanime exemple de dévouement. La Roche du Maine après avoir apostrophé le duc d’Alençon sur sa lâcheté, courut, suivi de Fleu-range, du baron de Trans et de tout ce qui aimait l’honneur et la patrie, pour faire à François Ier un rempart de leur corps. Cette troupe chevaleresque renversait tout devant elle, ralliait sur son passage les débris de la gendarmerie et des Suisses, et quand elle parvint près du roi, la mêlée devint si forte que les arquebusiers basques durent cesser leur feu. On combattait corps à corps ; ce n’était plus de la bravoure, c’était de la rage; là périrent Chaumont, Hector de Bourbon, le comte de Lambesc et bien d’autres preux; le comte de Foix et le bâtard de Savoie, oncle du roi, y furent mortellement blessés. Pour réduire cette troupe de héros, il ne fallut pas moins que la réunion de tous les corps d’armée impériaux, qui accouraient en foule sur le théâtre du combat.
François Ier luttait encore, et une barrière effroyable de cadavres était autour de lui : cinq ou six Espagnols venaient de tomber sous les coups de sa redoutable épée, quand son cheval, percé d’une balle l’entraînant dans sa chute, se renversa en partie sur lui. Les impériaux s’avançaient pour le saisir, mais le roi, quoique blessé en deux endroits à la jambe, presque écrasé par la chute de son cheval, le front ouvert par une large blessure dont le sang l’aveuglait, se remit sur pieds et tua encore deux de ses ennemis. On lui criait en vain de se rendre : le héros malheureux appelait la mort. Pompérant, gentilhomme du duc de Bourbon, lui proposa de remettre son épée à son maître ; François Ier répondit qu’il préférait mourir que de se rendre à un traître ; il demanda le vice-roi. Lannoy accourut, reçut à genoux l’épée du prince, lui baisa la main et lui remit immédiatement une autre épée.
Pendant cette catastrophe, l’imprudent Bonnivet, qui s’était battu comme un lion, et qui, dans la mêlée, s’était trouvé séparé du roi par le choc d’une troupe de lansquenets, voyait les déplorables effets de son conseil, et s’épuisait en tentatives inutiles pour rallier les fuyards et surtout pour arracher son prince au péril qui le menaçait. Vains efforts !… on ne voyait plus dans la plaine que des fuyards, des cadavres et des tronçons-d’armes. Un horrible désespoir s’empara de l’amiral: « Non, dit-il, je ne veux pas survivre à un pareil désastre !» et se précipitant comme un fou sur une troupe allemande, il se fit massacrer, quoique le connétable de Bourbon eût bien recommandé à ses soldats de le prendre vivant, car c’était son ennemi particulier, et il aurait voulu le faire souffrir. Il vint à passer quelques instants après que le malheureux amiral venait d’être égorgé, il vit ses restes sanglants et prononça ces mots : « Ah ! misérable, tu es cause de la perte de la France et de la mienne ! »
Bonnivet fut ainsi l’auteur de sa propre ruine, de celle de l’armée et de la captivité du roi François Ier, pour ne pas avoir écouté les conseils que lui dictait la prudence de chefs plus expérimentés.
- L’Hirondelle et les petits Oiseaux, par Charles Hygin-Furcy , 18??