Un Humoriste, un jour, rencontra sur sa route
Un Gars au teint fleuri, qui, lui tendant la main,
Semblait dire : « Donnez à qui pourrait sans doute,
S’il le voulait, gagner son pain. »
Quoi, n’es-tu point honteux, lui demande notre homme,
Toi, planté, toi, taillé tout comme,
D’avoir pris un pareil état ?
Que ne te faisais-tu Moine, Valet, Soldat ?
Car, je ne sais quel sort au tien n’est préférable.
Quel sort, quand tu vendrais même ton âme au Diable !
— Tout doux, Monsieur, tout doux, repart le Mendiant,
Semi-grave, semi-riant :
Ma pauvre âme à Satan déjà serait vendue,
Si bien Satan l’avait voulue.
Mais désabusez-vous : ce trafic, autrefois,
Était rare, et, partant, menait à la fortune ;
Le monde, depuis lors, a bien changé de lois !
Aujourd’hui, qu’ils ont fait marchandise commune
D’âmes à vendre ; hélas ! aujourd’hui, qu’il en pleut,
Satan en a, pour rien, tout autant qu’il en veut.
Plus que Satan, Monsieur, montrez-vous secourable :
Merci de vos avis ; mais, donnez-moi du pain. —
Bien répondu, mon gueux : tout beau conseil est vain.
S’il n’est accompagné d’un acte charitable.
Mais, j’aurais dit encore à ce donneur d’avis :
Tel homme est innocent, qui nous parait blâmable
De l’état de misère où le Destin l’a mis.
Bref, en tout point qu’on soit, il n’est qu’un bon devis :
Mieux vaut s’offrir à Dieu, que de se vendre au Diable !
“L’Humoriste et le Mendiant”