Grand roi, qui vois les arts d’un regard favorable,
Et dont avec transport j’éprouve la bonté,
Souffre qu’ici la vérité
Se cache un moment sous la fable.
Un habitant de l’Inde adoroit le soleil
Un zèle renaissant nuit et jour le dévore,
Et plein de l’objet qu’il adore,
L’ardeur de le loüer interrompt son sommeil.
Quelquefois célébrant sa lumière féconde,
D’un regard attentif il le suit dans son cours,
Admire en lui l’ame du monde ;
Toûjours chantant, et se plaignant toûjours
Qu’à ce qu’il sent nul terme ne réponde.
Il peint tantôt le céleste flambeau
Vainement assiégé par les sombres nuages,
Et bien-tôt vainqueur des orages
Reparoissant encor plus beau.
Il fait hymne sur hymne, en remplit la contrée ;
Tout accourt à sa voix, et chacun l’écoutant,
Benissoit la puissance en ses vers célébrée,
Tandis que du plaisir de la voir adorée
Le chantre se tient trop content.
Le soleil touché de ce zèle,
Sur ses champs desséchés jette un œil carressant,
Soudain, moisson double et plus belle ;
Verger fertile et fleurissant.
Soleil, dit l’indien, je rends à tes largesses
Tout l’hommage que je leur dois :
Tes bienfaits cependant n’acquièrent rien sur moi ;
Tu peux augmenter mes richesses,
Mais non pas mon zèle pour toi.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Indien et le Soleil.