Maître Lambin dans son petit ménage.
Aurait pu vivre heureux; il avait deux bons bras.
Le travail ne lui manquait pas :
Mais monsieur n’aimait pas l’ouvrage.
Il vivait donc très-pauvre, en regardant souvent
De quel côté soufflait le vent.
Lambin venait un jour d’achever un long somme.
Lorsqu’une femme ailée apparait à notre homme.
C’est une déité dont le vol est si prompt
Que sans cesse elle glisse, en sa course incertaine.
Sur un rasoir tranchant où son pied touche à peine.
Un toupet de cheveux, qui lui couvre le front.
Dérobe sa figure entière.
Et la déesse enfin est chauve par derrière .
« Çà, dit-elle à Lambin, debout, vite, et suis-moi.
— Debout! c’est bientôt dit. Je veux savoir pourquoi.
— Je viens te combler de largesses.
— Est-il croyable? — Oui, l’or va pleuvoir chez toi :
Honneurs, dignités, et richesses,
Voilà ton lot. — O ciel !… et quand puis-je l’avoir?
—A l’instant. Suis mes pas — Mais où donc? — Tu vas voir
— Une minute au moins, pour passer ma mandille.
Et je vous suis. » En achevant ces mots,
Lambin fait mille tours; à son aise il s’habille ;
Il perd le temps en vains propos.
Disant à sa moitié : « Vide-moi cette armoire ;
Pour mieux serrer mon or, vide ce coffre aussi.
Ce soir, la poule au pot; je prétends rire et boire,
Me voilà riche ; et nargue du souci ! »
Lambin débite encor cent sottises pareilles,
Ne rêvant que monts et merveilles,
Et puis il part. Mais inutile soin !
Plus de déesse ! il la cherche, il rappelle.
Hélas! elle est déjà bien loin :
Vainement il court après elle.
C’était l’Occasion: qui la laisse échapper,
Ne saurait plus la rattraper.
“L’Occasion manquée”