Louis Charles Profillet
Homme d’église, poète et fabuliste XIXº – L’Œil et la Main
Consilio manuque.
Figaro.
Vous souvient-il, Messieurs, que l’autre soir,
Lorsque chacun regagnait son manoir,
Et que là-haut Phébé la blonde,
Comme une belle à son miroir,
A travers son éventail noir,
Faisait l’œil en coulisse à notre pauvre monde,
Deux hommes, vis-à-vis, passaient sur le trottoir ?
L’un d’eux qui s’en allait, le râteau sur l’épaule,
Eh ! mais, dit-il, c’est assez drôle.
D’où sortent ces gens-là ? — C’est de nous, s’il vous plait,
Messieurs, que cet homme parlait.
Eh ! ne le sais-tu pas ? — Non. — La demande est belle !
C’est la Société d’agriculture. — Quoi !
Prétends-tu te railler de moi ?
Çà, des agriculteurs ! Ils font donc, par ma foi,
L’agriculture à la chandelle.
La méthode en est fort nouvelle.
A la prochaine occasion,
S’ils font bien, et sans plus attendre,
Je conseille à ces gens de prendre
Un bon brevet d’invention.
— Le conseil est plein de prudence,
Lui répartit son compagnon ;
Mais il ne faut juger de rien sur l’apparence ;
Cher, tu fais tort toi-même à ton intelligence ;
Ces gens-là ne sont pas si bêtes que tu penses ;
— Je répète, Messieurs, leurs propos tout au long. —
Et pour prouver, dit-il, ce que j’avance,
Je m’en vais te bailler une comparaison
Ingénieuse autant que délicate :
Dis-moi, sur son fumier, quand tu vois un dindon,
Au noir plumage, à l’aigrette écarlate,
Qui va, qui vient, qui becquette et qui gratte,
En dindon bien appris
Et d’esprits,
De cœur surtout, et d’âme point ingrate,
Est-ce à ses yeux, est-ce à sa patte
Qu’il est reconnaissant du grain
Par lui trouvé sur son chemin ?
— C’est à ses yeux. — Eh bien ! c’est justement tout comme.
Puisqu’il faut un guide à la main.
Laisse-toi guider, mon bonhomme.
Un bon bras a besoin d’un bon conseil. Crois-moi,
Et tout en ira mieux.
À chacun son emploi,
C’est encor le meilleur en somme,
Et, sans aller le dire à Rome,
Bêche pour eux, mon cher ; ils y verront pour toi.
Charles Profillet