Étienne François de Lantier
Littérateur, fabuliste XVIIIº – L’Oie qui apprend à danser
Une Hélène de basse-cour,
À la marche inégale, à la taille replète,
Une oie enfin se dit un jour :
« Je suis belle à ravir, et je serais parfaite
Si mes grâces avaient plus de légèreté ;
De bonne part j’ai l’assurance,
Que plus d’une oie et d’un singe effronté
Dans ce monde aujourd’hui se poussent par la danse. »
Aussitôt sont mandés, pour lui donner leçon,
Les maîtres les plus habiles,
Étourneau, martinet, alouette et pinson.
Tous petits freluquets fort sots et fort agiles ;
Certes, il fallait voir comment
Se trémoussait la grosse dame,
À droite, à gauche, en arrière, en avant ;
Elle y va de toute son âme,
Tant qu’à la fin, voulant battre trop sec
Un entrechat, la pécore troublée
Perd l’équilibre et tombe sur le bec.
Bien honteuse et bien essoufflée :
Congédiant alors tous les brillants danseurs,
« Fi ! dit -elle, ces gens ne sont que des sauteurs :
La véritable danse est plus grave et plus lente. »
Et la voilà qui veut essayer tour à tour
Les talents de la basse-cour ;
Mais en tous points aucun ne la contente.
Le ramier vole trop ;
Margot la pie est une aventurière,
Qui trotte ou va le galop ;
La poule fait la minaudière,
Et du jardin saute à pied la barrière ;
Le coq d’Inde a du bon, mais il aime à percher ;
Et jusque sur les toits le paon va se nicher.
Bref, la dédaigneuse écolière
Allait chômer, lorsqu’enfin par hasard
Elle découvre un trésor… ah ! que dis-je ?
Une merveille, un prodige.
C’est son compère le canard.
Quels airs penchés ! quelle noblesse !
Tout ce qu’il fait, par l’oie est répété
Avec la même gentillesse ;
C’est un assaut de grâce et de facilité ;
Où l’élève est ravie, et le maître enchanté.
Or, la sultane avait de l’influence,
Et chaque soir, à son petit coucher.
Sans vanter son maitre de danse.
Aucun oiseau n’eût osé l’approcher.
« Ah ! madame, admirez son aplomb et sa taille,
Même en dansant, il a l’air de penser :
C’est le Vestris de la volaille :
Et vivent les canards pour apprendre à danser ! »
Sur tout cela voici mon dire :
L’amour propre est un suborneur,
Qui de nos jugements cache et produit l’erreur ;
C’est soi-même en autrui qu’on cherche, qu’on admire,
Et les sots près de qui l’on s’estime le plus,
Seront toujours les bien-venus.
Étienne François de Lantier