Une Hélène de basse-cour,
A la marche inégale, à la taille replète,
Une oie enfin , se dit un jour :
« Je suis belle à ravir, et je serais parfaite,
« Si mes grâces avaient plus de légèreté ;
« De bonne part j’ai l’assurance
« Que plus d’une oie et d’un singe effronté
« Dans le monde aujourd’hui se poussent par la danse. »
Aussitôt sont mandés, pour lui donner leçon ,
Les maîtres les plus habiles,
Étourneau, martinet, alouette et pinson,
Tous petits freluquets fort sots et fort agiles.
Au milieu d’eux , il fallait voir comment
Se trémoussait la grosse dame;
A droite, à gauche, en arrière, en avant,
Elle y va de toute son âme,
Tant qu’à la fin, voulant battre trop sec
Un entrechat, la pécore essoufflée
Perd l’équilibre, et tombe sur le bec,
Bien honteuse et bien sifflée.
Congédiant alors tous les brillans danseurs :
« Fi ! dit-elle, ces gens ne sont que des sauteurs ;
« La véritable danse est plus grave et plus lente. »
Et la voilà qui veut essayer tour à tour
Les talens de la basse-cour ;
Mais en tous points aucun ne la contente.
Le ramier vole trop ; Margot la pie est une aventurière
Qui trotte ou va le galop; La poule fait la minaudière,
Et du jardin saute à pied la barrière ;
Le coq-d’Inde a du bon, mais il aime à percher ,
Et jusque sur les toits le paon va se nicher.
Bref, la dédaigneuse écolière
Allait chômer, lorsque enfin par hasard
Elle découvre un trésor… Ah! que dis-je?
Une merveille, un prodige;
C’est son compère le canard.
Quel air penché ! quelle noblesse !
Tout ce qu’il fait par l’oie est répété
Avec la môme gentillesse.
C’est un assaut de grâce et de facilité
Où l’élève est ravie et le maître enchanté.
Or la sultane avait de l’influence,
Et chaque soir à son petit coucher,
Sans vanter son maître de danse,
Aucun oison n’eût osé l’approcher.
« Ah ! madame y admirez son aplomb et sa taille ;
« Même en dansant, il a l’air de penser:
« C’est le Vestris de la volaille ,
« Et vivent les canards pour apprendre à danser! »
“L’Oie qui apprend à danser”