Phèdre
Des Rats, larrons de lard & de farine,
Bien retranchez contre soif & famine,
Ont trouvé l’art de pendre le grelot
Au cou du chat qui les laisse en repos.
Tout Rats qu’ils sont & nez pour la taniere
Tout noirs qu’ils sont, ils aiment la lumiere,
Jusqu’à ce point, qu’ils sont distributeurs,
De ce qu’on void dans les belles, d’honeurs.
Un singe avide & d’argent & de gloire,
Gagne les grâces de la troupe noire.
Du foible singe les Rats sont contents :
D’abord il dit amen à tous leurs chants.
Le maladroit singe dont parle Esope,
Voiant des noix, contre sa pourpre chope ;
Mais celui-ci plus fin, se contrefait ;
En tems & lieu se defend de l’atrait ;
L’esclave emploie toute son etude
A temoigner aux Rats sa gratitude ;
Il ne fait rien que suivant leur aveu
Un Rat, chez lui, comme en Egipte, est Dieu.
Les pauvres chats passent par l’etamine;
Mais tous les Rats sont sages sans doctrine.
Le singe ne fait jamais de faveur,
Qu’un de ces Rats n’en soit le collateur ;
Et qui pretend libre accez au Pretoire,
Doit abreuver, graisser leur refectoire.
Y manquer-vous ? un detestable Rat,
Au singe dit que vous n’etes qu’un chat ;
Se servit-on autrefois de sa patte,
Sur ce raport ce n’est plus qu’un pirate.
A sa demande à jamais on est sourd ;
On le decrie dans toutes les cours.
On se couvre sous le manteau du zèle ;
C’est pour montrer au Roi qu’on est fidele.
Fut-il orné d’un million d’appat,
Fut-il agneau, le singe le fait chat.
Vers Jupiter on envoie ambassade,
Qui lui decouvre cete mascarade ;
Ce juste juge oste au singe le droit ;
Et lui defend de faire aucun exploit ;
Il rend lui-même aux animaux justice ;
La vertu regne, on abaisse le vice.
Il pend lui-meme le grelot aux Rats ;
Par ce signal ils sont en proie aux chats.
“Phèdre – Souvent le vice décrie la vertu”