Que j’aime à cultiver mon penchant pour la fable
Cette étude nourrit mon esprit et mon cœur.
Sous son allégorie aimable,
Heureux qui sait plaire au lecteur!
Il faut intéresser si l’on veut être utile.
La fable, en sa naïveté,
Découvrit un moyen facile
Pour dire à tous la vérité.
Mieux qu’un prédicateur habile
Elle orne la moralité
De tout ce que le goût moissonne,
Et voilant avec art les leçons qu’elle donne,
Elle s’adresse avec simplicité
A la houlette ainsi qu’à la couronne.
Chez les peuples d’Orient
Les fables prirent naissance.
Des rayons du soleil la féconde influence
Dans ces heureux climats hâta l’accroissement
De la pensée et de l’intelligence.
L’Asie était savante alors que l’ignorance
Enveloppait tout l’Occident.
Pilpay (l’histoire le suppose),
De l’apologue industrieux,
Fut l’inventeur ingénieux.
Un peuple infatué de la métempsychose
Aux animaux, ses parents, ses amis,
Dut prêter un langage.
La conséquence est sage;
Et j’en conclus qu’aux Indiens
L’on doit ces monuments anciens.
Sage Pilpay, reçois donc mon hommage
Et sois un de mes dieux.
Ces écrits précieux
Sous le nom de Lochman charmèrent l’Arabie.
Et chez les Grecs, l’esclave de Xanthus,
Ésope, si difforme et si riche en vertus,
Par ces récits moraux instruisit la Phrygie,
Et ce roi fastueux, détrôné par Cyrus.
De ces trois illustres sages
Le temps, dont tout subit les arrêts destructeurs,
A respecté les ouvrages ;
Mais on demande en vain ce qu’étaient leurs auteurs
Clio grava leurs noms ; on devina le reste.
Phèdre, chez les Romains, de ce livre céleste
Embellit la morale en ses vers élégants,
Et de la fable étendit le domaine.
Mais l’écrivain de tous les temps,
L’ami des esprits murs, des vieillards, des enfants,
Le bon, le charmant la Fontaine,
Consacra pour jamais ces anciens documents.
De son style enchanteur la naïve magie
Unit au naturel la grâce et la gaîté.
Aux animaux il prête son génie,
Et semble tenir d’eux son ingénuité.
Sans deviner une autre vie,
Le Bonhomme volait à l’immortalité.
Esprit, talent, vers agréables,
De Lamotte ont tissu les fables;
Mais que le jargon de l’esprit
Est loin du ton de la nature!
La leçon dans la fable est toujours sèche et dure
Quand on voit la main qui l’écrit.
Peut-être plus de gout, de finesse et de grâce,
Distinguent Nivernois, cet aimable conteur,
Qui, comme le dit un auteur,
Était encor duc et pair au Parnasse.
Richer, Dorât, Boisard, Aubert,
Lemonnier, Vitalis, Imbert,
Dans l’empire d’Ésope ont droit de trouver place
Mais, à mon faible avis, Florian les efface.
Le goût, la sensibilité Furent son aimable partage;
Ses héros ont le vrai langage
De la raison et de l’humanité.
Dans le champ de l’allégorie
Puissé-je sur ses pas recueillir quelques fleurs.
Si, comme lui, je plaisais aux bons cœurs,
J’oserais me flatter de boire l’ambroisie.
Le monde est un tableau qui sans cesse varie,
Qui sans cesse présente aux yeux observateurs
Vices nouveaux et nouvelles erreurs.
Si la fable, ainsi que Thalie,
Doit peindre et corriger les mœurs,
Des sots et des méchants l’affluence infinie
Doit donner à Pilpay d’éternels successeurs.
“Prologue de Jean-Hubert Hubin “