J’entends parfois des gens autour de moi
Du siècle où nous vivons déplorer l’égoïsme.
« Suivant eux, aujourd’hui, l’on ne songe qu’à soi ;
» La soif de l’or augmente, et le positivisme,
» Inflexible tyran, courbe tout sous sa loi.
» L’honneur n’est qu’un vain mot, la bonne foi, honnie,
» Dans la malaria de la Californie
» Trouvera bientôt son tombeau. »
Par trop exagéré je trouve ce tableau,
Et, sans nier de l’or la funeste influence,
Je crois qu’il est encore, au sein de notre France,
De généreux instincts et plus d’un noble cœur
Où vibre puissamment la fibre de l’honneur.
Mais, par un trait récent, prouvons ce que j’avance.
À bon nombre de gens, au péril de ses jours.
Un homme, maintes fois, avait sauvé la vie.
Modeste autant que brave, on le voyait toujours,
Aux applaudissements de la foule ravie
Se soustraire aussitôt pour rester inconnu.
Mais le public s’était ému.
On sut enfin son nom, son domicile.
Au milieu des hourras, jusqu’à l’Hôtel-de-Ville
Le généreux sauveur en triomphe est porté.
Après l’avoir complimenté
Sur son beau dévouement, le maire offre au brave homme
La médaille d’honneur ou cinq cents francs au choix.
C’était une assez ronde somme.
Sans balancer, il accepta la croix.
— « Ami, lui dit une personne,
» Je confesse qu’en pareil cas
» J’eusse fait autrement, et votre choix m’étonne.
» La médaille a son prix, mais ne se mange pas ;
» Je ne vois là pour vous nul avantage ;
» Dans votre état de pauvreté,
» L’argent devait, je crois, par vous être accepté. »
— « Un tel conseil me surprend davantage,
Répond l’ouvrier fièrement ;
» Sachez que de mon dévouement
» J’ai déjà dans mon cœur trouvé la récompense ;
» Entre l’honneur et l’argent, moi, je pense
» Que l’on ne doit jamais hésiter un moment. »
“Un Homme d’honneur”