Viancin, Charles François Antoine
La Courge, le Potiron, le Melon et le Cornichon
Une courge des plus grossières
Vantait beaucoup son suc. — Près d’elle un potiron,
Devenu par l’engrais monstrueusement rond,
Et de plus tout gonflé de paroles très fières,
L’interrompant soudain, lui cria : « Taisez-vous,
» Citrouille, taisez-vous bien vile;
» Assez nous est connu votre pauvre mérite ,
» Et vous ne savez pas ce qu’on obtient de nous.
» Quand vous ne fournissez qu’insipides potages,
» Supportés tout au plus dans les moindres villages,
» Aliment de telle fadeur
» Que souvent il fait mal au cœur,
» Aux cités, nous donnons d’excellentes purées
» Qui, lorsqu’on sait en prendre soin,
» Pour flatter le palais, n’ont pas môme besoin
» D’être légèrement sucrées.
» De nous on fait aussi des grattins succulents
» Qu’on se plaît à servir tout dorés, tout brûlants,
» Et le monde qui nous entoure
» De toutes les façons nous aime et nous savoure. »
Un superbe melon de Chypre ou Canlaloup
Observait ces acteurs d’une scène orgueilleuse.
» Ma foi, vous m’amusez beaucoup,
» Leur dit-il d’une voix railleuse :
» A vous entendre, rien n’est bon
» Comme citrouille et potiron ;
» En vérité je ris de tant d’outrecuidance;
» Pour vous laisser du moins quelque peu d’importance,
» J’admets que dans son genre un de vous soit parfait ;
» Mais moi, que suis-je, s’il vous plaît,
» Moi qu’à si bon droit l’on renomme,
» Moi, melon recherché de tout fin gastronome ?
» Toi qui parles de sucre, en es-tu donc pourvu
» Autant que je le suis ? Ça ne s’est jamais vu.
»Les auditeurs de la dispute
Pensaient qu’elle allait finir là ;
Mais devait survenir, pour apaiser la lutte,
Un causeur quatrième : — A son tour il parla.
« Mes chers cousins, dit-il, vos qualités exquises,
» Sans peine, j’en conviens, sont loin de m’être acquises,
» Mais je puis plaire aux gens dont l’appétit va mal :
» C’est par le cornichon que le goût ressuscite,
» Et pour m’assaisonner, là, tout près de mon gîte,
» On prépare certain bocal.
» Vous voyez que dans son partage
» Le moindre de nous tous n’est pas sans avantage.
» Mais entre des sujets plus ou moins estimés
» Pourquoi tant d’amour-propre et de fanfaronnades?
» Folie ! un de ces jours on va nous entamer,
» Trancher, broyer et consommer ;
» Tâchons donc jusque-là d’être bons camarades.
» Il dit : c’était penser et conclure assez bien,
Aussi ne répliqua-t-on rien.
Mais que d’autres jaseurs sont d’une impertinence
Qu’on ne parvient jamais à réduire au silence !
A chaque instant nous rencontrons
Des courges et des potirons,
Des melons et des cornichons,
Jaloux, médisants, fanfarons,
Tous vantards autant qu’imbéciles,
Tous prodiges de vanité ;
Vouloir livrer la guerre à leur stupidité,
C’est prendre des soins inutiles.
“La Courge, le Potiron, le Melon et le Cornichon”