Mes bons amis, j’ai frémi bien souvent
A ces récits gravés dans ma mémoire
Qu’autour du feu, lorsque grondait le vent,
On nous contait, extraits d’un vieux grimoire.
D’un farfadet les tours malicieux,
D’un noir démon les fureurs sacrilèges,
Qui, pour braver les abbés et les cieux,
Des saints moutiers souillait les privilèges.
Demi glacé, d’épouvante saisi,
Je me serrais contre la châtelaine ;
Et dans les yeux de damoiselle Hélène,
Il me semblait voir l’amour tout transi.
Il ne faut pas rire de cette histoire !
Le mécréant la siffle avec dessein.
Je veux conter à mon cher auditoire
Celle qu’hier un savant capucin
Dévotement déposa dans mon sein.
Il la tenait d’un vieil anachorète
Qui la tenait d’un grave pèlerin :
A Rome elle est gravée en pur airain,
M’a-t-il juré d’un air franc et serein,
Tout en vidant ma dernière burette.
Non loin du Nil, aux pieds de ces tombeaux
Qui vers le ciel dressent leur tête immense,
Où de la mort le royaume commence,
Où, se cachant sous de pompeux lambeaux,
Des rois sans nom sommeille la démence,
Un chevalier, de Tholose natif,
Prompt au combat, en amour plus hâtif,
Léger d’argent, mais aimable, mais leste,
En bon croisé, brûlant d’un feu céleste,
Vint s’endormir. Là-bas vers l’Orient,
Déjà monté sur son trône d’opale,
L’astre des nuits au front pur et riant
Lançait les feux de sa couronne pâle.
Dans le désert, sur le sable mouvant,
Tout reposait, et le lion terrible,
Et le céraste encore plus horrible,
Jusqu’à l’Arabe au sommeil décevant.
L’air était lourd, la nature en silence,
Quand tout-à-coup auprès du chevalier,
Tenant en main un flambeau qu’il balance,
Un nain paraît, vrai lutin à lier ;
D’un vert de pré, d’une pourpre éclatante,
Ses vêtements unissaient les couleurs ;
D’un front ridé, sous un bonnet de fleurs,
Il déguisait la pâleur effrayante.
Rien qu’à sa vue, et sans savoir son nom,
On l’aurait pris pour valet du démon
Dont avec joie il portait la livrée.
Bien qu’à Satan son ame fût livrée,
Le drôle alors parcourait librement
La terre et l’eau comme le firmament.
Du Tholosain sans peur et sans reproche
Le farfadet, agitant son fallot,
Mystérieux et sans dire un seul mot,
D’un pas furtif légèrement s’approche.
Au vif éclat du magique flambeau,
Notre croisé s’éveille et se relève ;
D’une main prompte il a saisi son glaive ;
Et, s’adossant contre le vieux tombeau,
Attend sans peur l’ennemi qu’il soupçonne
Mais alentour son œil ne voit personne.
A quelques pas, et sur le Sphinx huché,
Le farfadet qui souvent déraisonne
Pour cette fois prudemment s’est caché.
Bientôt pourtant en trois bonds il s’élance ;
Près du Gascon il arrive soudain ;
Il lui sourit avec un fier dédain,
Sans néanmoins s’approcher de sa lance.
Il lui fait signe et semble l’engager
A méconnaître, à braver le danger,
Danger réel pour qui plein de vaillance
Consent à suivre un malveillant lutin.
Mais le guerrier, au cœur noble et hautain,
Marche au follet et le suit en silence ;
Dans le péril jamais il ne balance :
Les preux gascons affrontent le destin.
A quelques pas de la ruine antique,
Et sous l’abri d’un énorme portique,
Un escalier en spirale tourné
S’offre aux regards du héros étonné ;
Le farfadet et s’y jette et l’invite
A l’imiter. L’autre, au bord amené,
Sans s’arrêter le descend au plus vite,
En oubliant d’invoquer le saint nom,
Le nom puissant qui fait fuir le démon.
De son malheur ce fut là le principe ;
Son ennemi, l’ayant ainsi conduit,
Rit aux éclats, l’enferme en un réduit.
De son fallot la clarté se dissipe,
Et le follet, trop heureux quand il nuit,
Soudain s’échappe en criant bonne nuit.
A cet adieu dont il sent la malice,
Le chevalier, honteux d’être joué,
Ne trouvait plus le follet enjoué ;
Il eût voulu le tenir dans la lice ;
Et, jurotant, disait que la police
Etait mal faite au pays sarrasin.
En ce moment, contre un pilier voisin
Il s’est heurté ; dans sa marche, il chancelle,
Trébuche, tombe et dans un trou profond.
Pour cette fois, avant d’aller au fond,
Il se disait : «Adieu, coursier et selle;
« Adieu, Tholose ; adieu, gente pucelle ;
« Adieu, vous tous que j’aimais tendrement ;
«Je vais lancer ma dernière étincelle ;
«Je vais mourir dans ce vieux monument
«Sans absolvo, comme sans testament.
Comme il parlait, un grand filet l’enserre ;
Puis, ô prodige! il devient perroquet ;
Sa large main s’allonge en forte serre ;
Mais du pays il garde le caquet :
C’était vraiment un oiseau fort coquet.
Pour un croisé quelle triste aventure !
D’un chat malin devenir la pâture,
Ou se noyer dans le moindre baquet !
Auprès de lui, sur des tables dressées.
Il aperçoit en de brillants cristaux
Des fruits exquis, trente liqueurs glacées,
Et deux cents mets sur de riches plateaux.
A la clarté d’odorantes bougies,
Et sous un dôme où toutes les magies,
Réunissant leur pouvoir enchanté,
Avaient fondu ces nombreuses merveilles
Que le génie invente dans ses veilles
Pour quelque sot rempli de vanité,
Nymphe jolie, à la taille légère,
Aux blonds cheveux en boucles arrondis,
Au pied de reine, au teint d’une bergère,
Et telle enfin qu’ange du paradis
Était assise ; une robe élégante
Relevait bien sa parure fringante.
Tout était charme en elle, tout plaisait,
Et le malin par elle séduisait.
Oh ! du malin qui ne sait l’artifice ?
Chers auditeurs, il rôde autour de nous ;
Et s’il nous trouve en quelque rendez-vous,
Leste, il nous jette au fond du précipice.
Notre Gascon, du ciel abandonné,
A son pouvoir s’était déjà donné,
Et Lucifer en faisait son trophée.
Au doux aspect de la charmante Fée,
Le chevalier sent l’amour dans son cœur ;
Il veut parler et peindre sa tendresse ;
Point. Il ne peut ; une magique adresse
Ne lui permet qu’un cri rauque et moqueur
Baisez, Jacquot ! C’est tout ce qu’il sait dire.
D’un tel propos il voudrait se dédire,
Quand tout-à-coup la nymphe a demandé
Que cet oisel au tant riche plumage,
A son plaisir désormais accordé,
Vienne auprès d’elle essayer son ramage.
Tout aussitôt on apporte une cage
En beau fil d’or, aux pilastres d’argent,
Et contournée en forme de bocage.
Le chevalier en ce péril urgent
Cherche à s’enfuir.
On met à sa poursuite
Vingt farfadets ; un tel péril l’excite ;
Il fuit, il vole en l’autre appartement;
Il aperçoit une blanche baguette ;
Il s’en saisit : par ce charme inconnu,
Homme soudain il est redevenu.
Tout en dépit de l’enfer qui le guette,
Et pour finir son rôle heureusement,
Il vous enfile à travers sa baguette,
Comme en lieu sûr, le féique instrument.
Dès-lors il règne en ce palais magique ;
Il s’en assure ; et pour lors moins bénin :
«Or ça, dit-il d’une voix énergique,
«En perroquet qu’on transforme le nain ;
«Il m’a joué, qu’à mon tour je le joue.»
Puis, s’approchant de la jeune beauté,
Il va sans peur la baiser à la joue,
Et puis se met à table à son côté.
Il était beau, brave, aimable ; il sut plaire.
Mon capucin dit que d’un doux salaire
Pour ses péchés on le récompensa ;
Mais sur ce point je ne sais trop que dire,
Et je me tais par frayeur de médire.
Il est bien vrai qu’à l’aube il s’éclipsa ;
Qu’il reparut auprès des Pyramides,
La bouche en feu, les yeux encore humides
Et qu’à travers la plaine il s’avança.
Dès-lors suivi d’une image importune,
Et de la Fée adorant les appas,
Il la cherchait, il ne la trouvait pas ;
Et ce tourment causait son infortune.
Poison d’amour fermentait dans son cœur,
Et du croisé le malin fut vainqueur.
Notre Gascon en mauvaise posture,
Faible au combat, fuyant les longs travaux,
Ne quêtait plus périlleuse aventure,
Et sans rougir regardait ses rivaux
Courant chercher, et par monts et par vaux,
Maures à vaincre, enchanteurs à pourfendre.
Il n’aurait pu lui-même se défendre ;
Et de ses vœux, osant se dégager,
Loin des lieux saints qu’au glaive il abandonne
Il part, il fuit sur un esquif léger :
Le malheureux ! que le ciel lui pardonne.
Mais sur les flots il est plus d’un danger ;
Dans l’air brûlant la tempête commence :
Entendez-vous mugir la mer immense ?
Déjà l’effroi saisit le passager.
Voici venir cette masse écumante
Qui pousse au loin avec vélocité
Le frêle esquif au hasard emporté,
Et qui ne peut éviter la tourmente.
L’éclair a lui ; de la foudre en fureur
A retenti soudain la voix terrible ;
La mort la suit ; ô Dieu! qu’elle est horrible!
Périr ainsi, périr dans son erreur !
Que saint André, mes amis, nous préserve
De ce péril, que le Seigneur réserve
Aux mécréants dont l’âme en désarroi
Trahit toujours et l’Église et le roi,
A l’hérétique, à ces hommes infâmes
Prenant notre or et caressant nos femmes.
Le chevalier nage seul sur la mer,
Son bras nerveux fend la vague irritée,
Dans le trajet boit plus d’un coup amer,
Et gagne enfin une rive écartée :
Triste pays, des rochers, des marais,
Point d’épis d’or, parure des guérêts ;
Point de bocage aux routes solitaires,
Aux frais abris, au mol et vert gazon ;
Théâtre heureux, dans la jeune saison,
Des jeux d’amour et des plus doux mystères
Là tout est nu ; l’oiseau n’a point de chant,
Et seul dans l’air rôde l’Autour méchant.
Au beau milieu de ces plaines glacées,
Une chaumière, effroyable manoir,
Que l’on forma de roches entassées
Et que le temps couvrit d’un manteau noir,
S’offre au guerrier : vers elle il s’achemine,
Lorsqu’apparaît à son œil peu séduit
Vieille hideuse, à la sinistre mine,
S’enveloppant d’un voile d’étamine,
Et se disant reine de ce réduit.
Le naufragé, que son aspect tourmente,
Mais que la faim et talonne et conduit,
D’un ton courtois d’abord la complimente….
Besoin vulgaire, où l’auras-tu conduit ?
La flatterie enchante la vieillesse,
Cette Baucis ne lui résiste pas ;
Du paladin elle guide les pas,
Et seul enfin un instant ne le laisse,
Lui souriant, lui tenant gai propos,
Lui demandant sans y mettre d’adresse
S’il a le cœur tourné vers la tendresse,
Le corps robuste et le jarret dispos.
Le malheureux, au jour de sa détresse,
Voulait souper et point telle maîtresse ;
Il s’excusait, rejetant sa langueur
Sur l’onde amère à grands flots avalée.
«Cest donc cela, dit Baucis consolée ;
«Que ce Schiras vous prête sa vigueur. »
Au pied du mur on mettait son courage ;
Les lois d’ailleurs de l’hospitalité
Lui commandaient la générosité ;
Car sans cela c’eût été vraiment rage.
En ce moment, dans un coin du taudis,
Le chevalier aperçoit une cage
Aux grilles d’or, aux pilastres d’argent,
Et contournée en forme de bocage ;
Plus un oisel au plumage changeant,
Beau perroquet, et disant à merveille :
«Baisez, Jacquot ! Ô vous qu’amour éveille,
«Songez à moi dans ce péril urgent. »
Le chevalier aussitôt se rappelle
Le nain pervers des champs égyptiens ;
Serait-il là soutenu par les siens ?
Dans le foyer saisissant une pelle,
Il s’en fait arme ; il a perdu son fer
Lors du naufrage ; et, s’il faut se débattre
Contre un lutin messager de l’enfer,
Qu’il soit au moins en passe de combattre…
Mais, nouveau coup bien fait pour l’étonner,
Tout aussitôt on entend Dieu tonner ;
En mille éclats se brise la chaumière,
Et, dans le fond d’un palais de lumière,
S’offre à ses yeux confondus et surpris
Baucis non plus, mais la nymphe première
Dont les attraits lui parurent sans prix.
Ne craignant plus la hideuse fermière,
A ses genoux il tombe tout surpris…
Depuis ce jour il vit dans la mollesse,
Dans des plaisirs indignes d’un héros ;
L’honneur le fuit, la vertu le délaisse,
Quand il s’endort sur de riches carreaux.
Depuis ce jour, une ivresse importune
Le plonge, hélas ! dans un honteux repos ;
La gloire en vain le rappelle aux drapeaux
L’amour devient sa gloire et sa fortune.
Il a perdu tout désir de renom ;
Et, s’oubliant près de nymphe jolie,
En châtiment de sa longue folie
Il voit enfin mourir jusqu’à son nom.
Ce nom éteint n’est plus dans la mémoire,
Lui qui devait triompher du trépas,
Ne revit point dans un savant mémoire,
Et sur la tombe on ne le trouve pas.