Chez un certain coq de village
Eleuthère un jour se trouva.
« Quoi ! s’écria ce personnage,
C’est donc vous ! Comment vous en va ? »
Il met aussitôt sur la table
Un pâté, des fruits et du pain.
« Buvons, dit-il d’un air affable ;
Vous serez content de mon vin. »
On était sur le point de boire,
Lorsqu’un dialogue maudit
Vint à la traverse. L’histoire
En a conservé le récit.
« Asseyez-vous sur cette chaise.
— Souffrez que je reste debout.
— Oh ! vous vous mettrez à votre aise.
— Je ne m’assieds point ; c’est mon goût.
— C’est par pure cérémonie.
— Pardonnez-moi ; je n’en fais point.
— Asseyez-vous donc, je vous prie.
— Monsieur, vous prenez trop de soin.
— On s’assied toujours quand on mange.
— Je me tiens debout fort souvent.
— Votre conduite est bien étrange.
— N’importe ; j’agis librement.
— Après une si longue route !
— J’en conviens, et si j’étais las…
— Oh ! monsieur, vous l’êtes, sans doute.
— Croyez-moi, je ne le suis pas.
— Je vous en prie avec instance.
— Eh ! pourquoi ? — Je fais mon devoir. »
Éleuthère, par complaisance.
Se vit obligé de s’asseoir.
» Maintenant, monsieur, il faut boire.
Dit le paysan bien joyeux
D’avoir gagné cette victoire
Si considérable à ses yeux.
— Monsieur, le vin pur m’est contraire ;
Un peu d’eau me ferait du bien.
— Gâter du vin si salutaire !
Oh ! monsieur, vous n’en ferez rien.
— Mais le vin sans eau m’est nuisible ;
Il fait du tort à ma santé.
— Vous me demandez l’impossible ;
Mon vin ne sera pas gâté.
— D’ailleurs, quand vous auriez la fièvre
Pour avoir bu votre vin pur.
Un peu de ce pâté de lièvre
Vous rétablirait, j’en suis sûr.
— Du lièvre ! je vous remercie ;
Il m’est défendu d’en manger.
— Mangez-en, monsieur, je vous prie.
C’est le moyen de m’obliger.
— Le lièvre m’est insupportable.
— C’est un pâté de ma façon.
— Jamais on n’en sert à ma table.
— Il est délicat et très-bon. »
Ensuite, ouvrant sa tabatière :
« J’ai, dit-il, du tabac divin;
Goûtez. — Le tabac m’est contraire.
— Vous me refuseriez en vain.
— Je n’ai pas coutume d’en prendre.
— Il est excellent. — Je le crois.
— À mes désirs daignez vous rendre.
— Je ne puis. — Au moins une fois.
— Songez donc. — Mon tabac surpasse
Celui même que le roi prend.
— Soit ! mais dispensez-moi, de grâce.
— Je vous en prie, acceptez-en »
Toute politesse gênante
Est sœur de l’incivilité.
Éleuthère s’impatiente,
Se lève, et s’enfuit irrité.
“La Politesse villageoise”