Ésope
Écrivain grec et fabuliste antiquité – L’Âne chargé de sel
L’Âne chargé de sel – Un âne portant du sel traversait une rivière ; il glissa et tomba dans l’eau. Alors le sel se fondit, et il se releva plus léger, et fut enchanté de l’accident. Une autre fois, comme il arrivait au bord d’une rivière avec une charge d’éponges, il crut que, s’il se laissait tomber encore, il se relèverait plus léger, et il fit exprès de glisser. Mais il advint que les éponges ayant pompé l’eau, il ne put se relever et périt noyé.
Ainsi parfois les hommes ne se doutent pas que ce sont leurs propres ruses qui les précipitent dans le malheur.
- Ésope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
L’Âne chargé d’éponges et l’Âne chargé de sel
Un ânier, son sceptre à la main,
Menait, en empereur romain,
Deux coursiers à longues oreilles.
L’un, d’éponges chargé, marchait comme un courrier;
Et l’autre, se faisant prier,
Portait, comme on dit, les bouteilles
Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins
Par monts, par vaux et par chemins,
Au gué d’une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.
L’ânier, qui tous les jours traversait ce gué là,
Sur l’âne à l’éponge monta,
Chassant devant lui l’autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l’eau, puis échappa ;
Car au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien
Que le baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.
Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d’autrui.
Voilà mon âne à l’eau; jusqu’au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l’éponge.
Tous trois burent d’autant l’ânier et le grison
Firent à l’éponge raison.
Celle-ci devint si pesante,
Et de tant d’eau s’emplit d’abord,
Que l’âne succombant ne put gagner le bord.
L’ânier l’embrassait, dans l’attente
D’une prompte et certaine mort.
Quelqu’un vint au secours qui ce fut, il n’importe;
C’est assez qu’on ait vu par là qu’il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J’en voulais venir à ce point.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)