Joseph POISLE-DESGRANGES
Chargé de sacs de blé, tous les jours un ânon,
Qu’il vente fort, qu’il pleuve ou non.
D’un pas nonchalant et docile
Allait vers le moulin qui dominait la ville.
Cet âne n’était pas un âne ambitieux,
Et jamais la moindre apostrophe
Pour accuser le sort, la nature ou les cieux,
Ne sortait de sa bouche; il était philosophe.
L’avenir cependant quelquefois l’occupait;
Il désirait savoir, si la mort le frappait,
Comment maître Thomas, sans trop de sacrifices,
Se passerait de ses services.
— Depuis dix ans c’est moi, disait l’âne sans frein,
Qui seul ai transporté la farine et le grain,
Et j’en ai tellement contracté l’habitude,
Qu’aveugle on me venait retrouver le moulin
Et montrer la même aptitude.
Il avait celle certitude
Lorsqu’un malin, hélas ! déviant du chemin
Il roule… et disparaît au bas de la colline.
Le meunier regretta son pauvre maigrelet,
Mais il ne manqua pas de porteurs de farine;
Faute d’âne, il eut un mulet.
Oh! vous, vieux routiniers qui dans un ministère
Occupez un modeste emploi,
Ne dites plus tout haut :
Que fera-t-on sans moi ?
Les choses en tout temps vont leur train ordinaire.
“L’Âne du Meunier Thomas”