Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Livre 12 – Le Cerf malade
En pays pleins de Cerfs un Cerf tomba malade.
Incontinent maint camarade
Accourt à son grabat le voir, le secourir,
Le consoler du moins : multitude importune.
Eh ! Messieurs, laissez-moi mourir.
Permettez qu’en forme commune
La parque m’expédie, et finissez vos pleurs.
Point du tout : les Consolateurs
De ce triste devoir tout au long s’acquittèrent ;
Quand il plut à Dieu s’en allèrent.
Ce ne fut pas sans boire un coup,
C’est-à-dire sans prendre un droit de pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du voisinage.
La pitance du Cerf en déchut de beaucoup ;
Il ne trouva plus rien à frire.
D’un mal il tomba dans un pire,
Et se vit réduit à la fin
A jeûner et mourir de faim.
Il en coûte à qui vous réclame,(1)
Médecins du corps et de l’âme.
O temps, ô mœurs ! J’ai beau crier,
Tout le monde se fait payer.

Analyses de Chamfort
V. 2. Incontinent maint camarade.
Cette fable rentre absolument dans la morale du Jardinier et son Seigneur, ( livre IV, fable 4 ) et dans celle de l’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin (livre IX , fable 5 ) ; mais elle est fort au-dessus des deux autres.
Commentaires de MNS Guillon
Le sujet de cette fable ressemble beaucoup à celui du Jardinier et son Seigneur ; mais elle est bien loin d’en avoir les agrément.
(1) en coûte a qui vous réclame, .etc. Officia tancta quanto veneunt . dit le Cerf dans l’apologue latin de Desbillons. Nous sommer étonnés que le grave Jésuite se soit permis de traduire et d’offrir aux regards de la jeunesse celte satyre peu réfléchie d’usages fondés sur la raison, sur l’autorité, sur la nécessité elle-même. L’homme dévoué aux fonctions du ministère est-il an ange, pour être indépendant des besoins de la terre ? Le prêtre, dit S. Paul, doit vivre de l’autel. Il n’a pas droit d’exiger, à la bonne heure , mais il a celui de désirer et de recevoir. “Le Cerf malade”