Un Chameau paissait dans un désert et broutait les chardons et les orties. Il vint auprès d’un buisson aussi épais que la chevelure d’une jeune fille, frais et agréable comme les joues d’un adolescent. Lorsqu’il allongeait le col pour en goûter, il aperçut un énorme serpent qui, roulé comme un anneau, s’était blotti au fond de ce buisson ; il recula promptement en détournant la tête et son envie se passa. Le Buisson s’imagina que ce mouvement était l’effet de la crainte inspirée par la vue de ses épines ; le Chameau, piqué d’une telle vanité, lui dit : « Ne vois-tu pas que c’est le serpent caché sous ton feuillage qui m’en impose, et non pas l’officieux qui lui prête un asile, je crains plus le dard d’un serpent que toutes les épines des buissons. Rends grâces à l’hôte redoutable qui s’est retiré chez toi, sans lui je ne ferais qu’une bouchée de ton corps. »
Rien d’étonnant que l’homme brave craigne les méchants ; ce n’est ni leur force ni leur courage, mais leur perfidie qui les rend redoutables. A coup sûr, celui qui ne veut point mettre le pied sur la cendre, craint le feu qu’elle recèle.
“Le Chameau et le Buisson”