Une levrette favorite
Voyait dîner son maître, et, de l’air patelin
Dont toute créature implore et sollicite,
Réclamait sa part du festin.
Le don ne tardait pas à suivre la requête.
Maint et maint osselet, mainte et mainte douceur
Passaient de la main du dîneur
Dans la gueule de la levrette,
Qui lui payait chaque faveur
Par des transports d’amour et de bonheur.
Son museau, sa queue et sa patte
S’agitaient à la fois, le frôlaient, le flattaient.
Elle ne croyait pas, tant que les dons venaient,
Qu’il fût possible d’être ingrate.
Les cadeaux pourtant prirent fin ;
Le maître fit le sourd, jugeant, dans sa pensée.
Que la solliciteuse était dûment pansée;
Mais la bête avait toujours faim.
Elle se mit d’abord à geindre,
A lui presser le bras, à gronder, à se plaindre;
Et puis haussa le ton de ses longs grognements,
Aboya même avec colère.
Et finit par montrer les dents
A qui n’écoutait plus sa nouvelle prière.
Des éternels coureurs de grâces et d’emplois
Telle est l’intraitable exigence;
Et, soit dit sans irrévérence,
C’est le péché des grands, et même un peu des rois.
Eussiez-vous à leurs vœux cédé vingt et vingt fois.
Si vous y manquez une, adieu la souvenance
Des services passés et des bienfaits rendus;
La rancune d’un seul refus
Étouffe la reconnaissance.
“Le Dineur et sa Levrette”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868