La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
– Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
– Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
– Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Autres analyses:
- Commentaires et analyses : Le Loup et l’Agneau de MNS Guillon
- Le Loup et l’Agneau, analyse littéraire, par Clodomir Rouzé
- Etudes littéraires sur Le Loup et l’Agneau, B. Van Hollebeke
- Le Loup et l’Agneau analysée par C. Hygin-Furcy
- Les Agneaux et le Loup – rôles inversés
Commentaires de Chamfort – 1796
V. 27. Fi. Espèce d’interjection qu’on n’emploie que proverbialement et dans le style très familier. (Le Loup et l’ Agneau )
Analyses de MNS Guillon – 1803
Cette fable est une véritable tragédie… Tout y est clair et bien marqué. Le lieu de la scène, c’est le bord d’un ruisseau. Les deux Acteurs, c’est le Loup et l’Agneau; leur caractère la violence et l’innocence ; l’action c’est le démêle de l’un avec l’autre ; le nœud qui tient lecteur en suspend, est de savoir comment se terminera la querelle. Le dénouement, c’est la mort de l’innocent, d’où sort la morale que le plus foible est souvent opprimé par le plus fort. L’abbé Batteux , Principes de Littérature. T. II. pag. 46.
(1) La raison du plus fort est toujours la meilleure. On sent bien que cette proposition n’est avancée ici qu’ironiquement: c’est là la morale du despote et de l’oppresseur, celle qui a fait les tyrans et les victimes. On a dit de même :
Le parti qui triomphe est toujours le plus juste.
(2) Un Agneau se désaléroit, etc. Dans Phèdre, c’est la soif qui amène l’Agneau et le Loup sur les bords du même ruisseau ; ici c’est quelque chose de plus que les ardeurs de la soif, qui travaille ce dernier.; c’est la faim, c’est le plus furieux de tous les besoins, qui se mêle en lui au désir de trouver aventure. Quels stimulans pour la voracité du cruel animal ! Comme ces accessoires divers contrastent avec le caractère du tranquille et innocent Agneau ! Il étoit là quand son terrible ennemi est survenu : ce n’est pas lui qui cherchoit l’aventure. Nulle passion ne l’agite. Il buvoit au courant de cette onde , pure comme tous ses goûts ; ce n’est pas lui qui est étranger dans ces lieux, ils font son habitation ordinaire …La suite…