Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
“Il ne tiendra qu’à vous beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres*, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée* :
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. ”
Le Loup reprit : “Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. ”
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
“Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. ”
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
(Le Loup et le Chien)
Autres analyses:
- Le Loup et le Chien, analyses de MNS Guillon
- Le loup et le chien, analysée par Clodomir Rouzé
- Le Loup et le Chien analysée par C. Hygin-Furcy
Commentaires de Chamfort – 1796
Cette fable du loup et du chien est parfaite d’un bout à l’autre : il n’y a à critiquer que l’avant-dernier vers :
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor,
Un loup n’a que faire de trésor.
Analyses de MNS Guillon – 1803
(1) Tant les Chiens faisaient bonne garde. Le poète se hâte de commencer son récit : voilà pourquoi la connexion des idées n’est qu’indiquée, Le Loup vit de sa chasse j il est condamné à faire maigre chère quand le gibier dont il fait sa proie est bien défendu.
(2) Poli,comme on dit : luisant de graise. Emprunté de l’ancien langage. Le poète Villon avait dit :
Corps féminin qui tant es tendre,
Poli , souef (suave), et gracieux. Qui s’était fourvoyé ( égaré ) ; on disait autrefois forvoyer, être hors de son chemin. Jean, de Meun dans le Roman de la Rose:
Sous les arbres sans forvoyer. ( Vers 1297. ) …Lire la suite…