Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Loup, la Mère et l’Enfant
Ce Loup me remet en mémoire
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris.
Il y périt ; voici l’histoire.
Un Villageois avait à l’écart son logis.
Messer Loup attendait chape-chute à la porte.
Il avait vu sortir gibier de toute sorte :
Veaux de lait, Agneaux et Brebis,
Régiments de Dindons, enfin bonne Provende.
Le larron commençait pourtant à s’ennuyer.
Il entend un enfant crier.
La mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s’il ne se tait,
De le donner au Loup. L’Animal se tient prêt,
Remerciant les Dieux d’une telle aventure,
Quand la Mère, apaisant sa chère géniture,
Lui dit : Ne criez point ; s’il vient, nous le tuerons.
– Qu’est ceci ? s’écria le mangeur de Moutons.
Dire d’un, puis d’un autre ? Est-ce ainsi que l’on traite
Les gens faits comme moi ? me prend-on pour un sot ?
Que quelque jour ce beau marmot
Vienne au bois cueillir la noisette !
Comme il disait ces mots, on sort de la maison :
Un chien de cour l’arrête. Epieux et fourches-fières
L’ajustent de toutes manières.
Que veniez-vous chercher en ce lieu ? lui dit-on.
Aussitôt il conta l’affaire.
Merci de moi, lui dit la Mère,
Tu mangeras mon Fils ! L’ai-je fait à dessein
Qu’il assouvisse un jour ta faim ?
On assomma la pauvre bête.
Un manant lui coupa le pied droit et la tête :
Le Seigneur du Village à sa porte les mit,
Et ce dicton picard à l’entour fut écrit :
Biaux chires Leups, n’écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie.
Autres analyse :
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Attendait chape-chûte. Madame de Sévigné : » Je lai dis que ce n’est point là la vie d’un honnête homme, qu’il trouvera quelque chape-chûte, et qu’à force de s’exposer, il aura son fait.»
(2) Enfin bonne provende. Mot ancien, dont l’étymologie est dans le latin provenire; bon produit; plutôt que dans prœbenda, d’où on le fait venir. Selon Pasquier (Recherch. L. III. ch. 37:) « Les biens assignés aux clercs pour leurs vivres, s’appeloient prévende. Ce mot a été depuis étendu à toute sorte de provision de bouche ».
(3) La mère aussitôt. Aphtone substitue une nourrice à une mère. (C’est mettre un cœur mercenaire à la place du chef-d’œuvre de la nature..lire la suite
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
(Le Loup, la Mère et l’Enfant)
On voit, par les endroits soulignés, que La Fontaine ne s’est pas tellement approprié cette vieille Fable française, que l’on n’en reconnaisse, dans son imitation, des expressions et des sentiments reproduits d’une manière assez fidèle, surtout ce trait de nature si précieux du prompt retour, chez la mère, d’un mouvement d’impatience à sa tendresse pour son cher nourrisson ; mais cela ne lui ôte rien de son mérite, et La Fontaine pou-voit dire ici, tout aussi bien que Molière, dans une autre occasion, que c’était son bien qu’il revendiquait.
Le dicton picard qui répond, en meilleur langage, à
Biaux chires Leups, n’écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie.
n’est pas encore du goût de Chamfort. Selon nous,an contraire, il atteste celui de La Fontaine, qui aura craint de paraître heurter avec le loup de sa Fable, en adoptant la conclusion de l’ancienne, en tout conforme à la façon de voir du mangeur d’enfants. Soit dit, cependant, sans paraître désapprouver cette moralité, qui sans doute est excellente pour le fonds, mais qui n’est aucunement applicable à la circonstance.
Études sur La Fontaine, Pierre Louis Solvet, 1812