Commentaires et analyses : Le mal marié de MNS Guillon – 1803.
- Le mal marié.
(1) Dès demain je chercherai femme. Il fût pourtant marié ce bon La Fontaine. Raison de plus, me dira-t-on, pour médire des femmes. Quoiqu’il en soit de cette opinion, l’on conviendra que si elle n’est pas sans réponse du côté de la vérité, elle ne laisse aucune objection à faire sons le rapport du style et de la narration. Quand on a lu les charmants deuils qui composent ce joli conte, il faut se taire et admirer. Et que peu de beaux corps, hâtes d’une belle âme, Notre poète, plein de la lecture des anciens philosophes, avoit lu sans doute dans Xénophon : « Comme le mot beau se joint toujours au mot bon ; quand je voyois quelqu’un d’une belle figure, j’allois le trouver et je tâchois de découvrir si le beau et le bon se trouvoient reunis l’un à l’autre; mais qu’il s’en falloit que cela fût ainsi! Je crus appercevoir que quelques-unes de ces belles figures recéloient des âmes, corrompues » ( Econom. trad. de Gail, ch. VI, pag. 55 ).
(2) Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point. Cette idée rappelle l’épigramme naïve et plaisante de Montcrif sur la même matière: Amis, je vois beaucoup de bien
Dans le parti qu’on me propose ;
Mais toutefois ne pressons rien.
Prendre femme est étrange chose :
Il faut y penser mûrement ;
Gens sages en qui je me fie,
M’ont dit que c’est fait prudemment
Que d’y songer toute la vie.
(3) Rien ne la contentoit, etc. On reconnoit les mêmes traits, les mêmes tournures, de semblables expressions dans le portrait que Boileau a fait de Sa revêche bizarre
Qui sans cesse d’un ton par la colère aigri,
Gronde, choque , dément, contredit un mari.
Il n’est point de repos ni de paix avec elle;
Son mariage n’est qu’une longue querelle :
Laisse-t-elle un moment respirer son époux;
Ses valets sont d’abord l’objet de son courroux. …
(Sat. X. v. 35o.) L’ouvrage où se trouvent ces vers est de 1694 , c’est-à-dire, 16 ans après la publication de cette seconde partie des Fables, en 1678. Si donc l’un des deux poètes a imité l’autre, ce ne peut être La Fontaine. Les vers de Boileau sont beaux sans doute ; peut-être le paroitroient-ils moins à côté de ceux de notre fabuliste. (4) On se le voit trop tard, on se couchoit trop tôt. La généralité de l’inculpation la rend plus imposante : ce n’est pas d’un seul individu qu’elle se plaint, c’est de tout le monde. Boileau a dit de même :
De ces coquins déjà l’on se trouvoit lassé. . .
Alors on ne mit plus de borne à la lésine ,
On condamna la cave, on ferma la cuisine. (Ibid. v. 3o1.)
(5) Monsieur ne songe a rien ; Monsieur dépense tout ; Monsieur court, etc. Ces répétitions sont bien le langage de l’humeur. La société en offre des témoignages journaliers : c’est là le livre qui a fourni toutes ces heureuses imitations dont nos auteurs comiques sont pleins. Mais combien l’art des gradations donne de vie et d’ordre à ce tableau, par-là sur-tout bien supérieur à celai du célèbre satyrique ! L’esprit de contradiction empoisonne tous les objets. Rien ne la contentoit, rien n’étoit comme il faut. Les murmures, à force de se généraliser, tombent dans le vague; on ne sait à qui s’en prendre. Puis du blanc , puis du noir, puis encore autre chose. Ils s’égarent et rencontrent d’abord les Valets .
les premiers soumis à l’empire de la capricieuse. Les valets enrageoient. Et voilà aussi les effets que produisent les tracasseries. Mais le poids en doit a la fin retomber tout entier sur le pauvre mari, esclave légal de son épouse. Monsieur ne songe à rien; Monsieur dépense tout, etc.
(6) Lassé d’entendre un tel lutin. On nomme lutins des esprits ou fantômes turbulens, inquiets, qui viennent pendant les nuits troubler le sommeil des vivans , ou errer autour des tombeaux des morts. Les anciens les connoissoient sous le nom de Larves et de Lémures. (V. la 2e. partie du 1er. vol. de l’Antiquité expliquée de Montfaulcon )
(7) .… La voilà donc compagne De certaines Philis qui gardent les dindons. D’autres peut-être, à l’aide d’une métaphore, auroient pu couvrir d’une expression noble l’image d’une fiction qui l’est si peu ; mais y mettre ce joli badinage, et même de la grâce, ce talent n’étoit donné qu’à La Fontaine.
(8) Je leur savois bien dire. On pourroit trouver à reprendre ici l’omission de la particule le.
(9) Méprit son époux tout à l’heure, pour tout de suite, sur-le-champ , n’est plus usité.
(10) Vous verront contre eux déchaînée ? Métaphore aussi noble que juste. C’est le Chien hargneux qui , libre de sa chaîne, se jette à tord et à travers, et aboie à tout venant.