Pierre Louis Solvet
Homme de lettres, écrivain et analyses des fables – Le mal marié
Études sur Le mal marié de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812
- Le mal marié, Ésope , F. 93.

V. 1. Que le bon soit toujours camarade du beau, Dès demain je chercherai femme.
Cette pensée, qui n’est qu’une légère extension de la maxime de Périaudre, numquum discedat utile à décoro, appliquée au mariage, va se trouver développée sous les mêmes rapports, avec quelqu’agrément, et sans trop de prolixité, dans ces vers de La Mothe, qui de son côté paroît en avoir emprunté la matière du prologue d’un des contes de Bocace.
Veut-on que je prenne une femme :
Je veux trouver ensemble et jeunesse et beauté;
L’esprit bien fait, une belle âme,
Délicatesse avec simplicité,
Cœur sensible sans jalousie,
Vivacité sans frénésie,
Sagesse, agrément et santé,
Enfin, pour la rendre parfaite, A toutes les vertus joignez tons les appas : Trop heureux, cependant, de ne la trouver pas !
Scarron dit plaisamment, dans son style burlesque, à madame de R*** ;
…….Sans bonté.
Je me mocque de la beauté ;
Et je tiens pires que Gorgonnes
Les belles qui ne sont pas bonnes.
V. 7. J’ai vu beaucoup d’hymens ; aucuns d’eux ne me tentent.
Ce riche , quoique jeune, avait vu dans le monde
Beaucoup d’hymens brillants, peu qui l’eussent tenté.
(M. Aubert, conte de l’Accordée de village.)
Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme ;
Mais comme le divorce entre eux n’est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d’une belle âme,
Assemblent l’un et l’autre point,
Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J’ai vu beaucoup d’Hymens, aucuns d’eux ne me tentent :
Cependant des humains presque les quatre parts
S’exposent hardiment au plus grand des hasards ;
Les quatre parts aussi des humains se repentent.
J’en vais alléguer un qui, s’étant repenti,
Ne put trouver d’autre parti,
Que de renvoyer son épouse,
Querelleuse, avare, et jalouse.
Rien ne la contentait, rien n’était comme il faut,
On se levait trop tard, on se couchait trop tôt,
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose ;
Les valets enrageaient, l’époux était à bout :
Monsieur ne songe à rien, Monsieur dépense tout,
Monsieur court, Monsieur se repose…..
V. 10. Les quatre parts aussi des humains se repentent.
Selon La Bruyère, « il y a peu de femmes si parfaites qu’elles empêchent un mari de se repentir, du moins une fois le jour, d’avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n’en a point. «
Ce qu’il s’en voit si peu de bons, dit quelque part Montaigne, en parlant du mariage, est signe de son prix et de sa valeur; à le bien façonner et à le bien prendre, il n’est point de plus belle pièce en notre société ; nous ne pouvons nous en passer, et nous l’allons avilissant. »
La Fontaine avait été marié comme à son insu ; il parait même 5 dans les premiers vers de cette Fable, qu’il avait oublié tout-à-fait sa femme. La Bruyère vivait dans le célibat ; Montaigne a subi librement, et par choix, le joug de l’hymen. Qui mérite ici le plus de croyance ?
V. 19. Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout,
Monsieur court, monsieur se repose.
L’expression de ces vers est pleine de naïveté ; et présentement il est très-possible que La Fontaine n’ait eu besoin, pour les écrire, que de se rappeler les propres paroles de sa femme. Ce que la tradition nous a conservé du caractère de ces deux époux, et de la manière dont ils vivaient ensemble, rend la chose assez vraisemblable. Un mal marié s’il en fut onc, c’est Socrate : c’est bien pour lui que Xantippe était un diable en femme travesti. Comment, lui disait Alcibiade,
Comment pouvez-vous vivre avec cette mégère?
— D’une rare vertu je lui suis redevable :
Elle m’apprend à vivre avec mes ennemis.
Cet extrait de la Fable intitulée Socrate et Xantippe, chez Le Brun, peut suppléer à ce qui manque à celle de La Fontaine du côté de la morale, dans un sujet analogue. Ce défaut de moralité est sans doute ce qui a fait dire à Chamfort que cette Fable n’en est point une, mais seulement une aventure fort commune qui ne méritoit guère d’être rimée.