Flatteurs, troupeaux lâches et traîtres.
Cœurs qu’on achète au poids de l’or,
Et qui n’adore ?, dans vos maîtres
Que leur fortune et leur trésor;
Soit que vous fassiez votre étude
D’aveugler un prince puissant
Ou d’enivrer lu multitude.
Je vous déteste également.
Jamais bassesses, injustices
Ne vous rebutent dans vos dieux ;
Leurs erreurs, leurs fautes, leurs vices,
Vous les exaltez jusqu’aux cieux.
Mais que la fortune infidèle
Vienne à retirer ses faveurs,
Soudain, et plus volages qu’elle.
Ingrats, vous relirez vos coeurs.
Vous poursuivez de vos outrages
L’antique objet de votre amour
Et vous transportez vos hommages
A d’autres idoles d’un jour.
Ainsi l’antre des régicides,
Naguère encore avec effroi,
Voyait des courtisans perfides
Appeler la mort sur leur roi.
Puis, lorsqu’un fils de la victoire
Eut ranimé les temps détruits,
Eux-mêmes ils se tirent gloire
Des titres qu’ils avaient proscrits.
On peut des plus fiers démocrates
Faire les plus vils courtisans,
Les plus hautains aristocrates,
Les maîtres les plus méprisants.
J’ai lu dans l’histoire des ânes
Qu’ils eurent jadis un tribun,
Mais si bavard, si bavard que chacun,
De l’Amérique au pays des Brachmanes,
L’aurait pris, aux oreilles près,
Pour un de nos tribuns français.
Messieurs les ânes, à l’entendre,
Vu leurs perfections, avaient droit de prétendre
A gouverner le genre humain ;
Les âniers n’étaient bons qu’à pendre,
El s’il avait un jour le pouvoir souverain,
C’est lui qui mènerait les meuniers au moulin.
Or, ajoute ici la chronique,
Cet âne un beau matin fit un rêve enchanteur.
Mais que rêva l’éloquente bourrique ?
Devinez; je le donne au plus malin docteur
En dix, en cent, en mille…. Il croyait être
Un meunier, oui, meunier, des blanchi, sceptre en main.
Vrai meunier menant au moulin
Quatre aimables grisons dont il était le maître.
Ciel ! de quel air de czar il jouait du bâton !
« Marchez, vils animaux, misérable canaille ;
Tira-t-on jamais rien qui vaille
De ce peuple ignorant, paresseux et poltron ?
Pauvres âniers! malheureux que nous sommes :
Faut-il donc que le ciel ait condamné les hommes
A se servir de semblables lourdauds!
Mais… quoi ? — C’était Martin s’escrimant sur son dos.
” Lève-toi, fainéant! ” Notre rêveur se lève ;
Il faut suivre Martin ; on retourne aux fardeaux.
“Le Rêve de l’Ane”
- Jacques-Melchior Villefranche – 1829 – 1904