AU printemps, un bassin limpide,
Au sein des verts bosquets, réfléchissant les cieux,
Et des rameaux penchés les baisers amoureux,
Attirait une foule avide
D’y voguer et de s’y mirer.
Chacun venait pour admirer
Cette onde tranquille et dormante
Qu’à peine ridait quelquefois
L’haleine des zéphyrs qui, s’échappant des bois,
Répandaient alentour leur vapeur odorante.
Non loin serpentait un ruisseau ;
Sa source était dans la montagne ;
Elle était abondante, et, loin dans la campagne
Elle versait la plus belle eau.
Mais du ruisseau fécond la course est inégale :
Il bondit sur le roc et s’endort doucement
Sur le bord plus heureux où la fleur nationale
Se penche mollement.
Suivant les lieux, il hâte, il ralentit sa course.
Là, par un obstacle arrêté,
Il gronde, il s’enfle !… et cette source
Qui mêlait aux parfums de ce bord enchanté
Un murmure de volupté,
En flots bruyants se précipite,
Entraînant à sa suite
Mille débris qu’il heurte et brise en son courant…
– Quel mauvais voisin qu’un torrent !
(S’écrie un passant débonnaire),
Oh ! vive le bassin dont toujours l’onde claire
Rappelle la candeur, les bienfaits d’un cœur pur ! –
Mais trop tôt vint l’été ! Le bassin si limpide,
Qui des cieux reflétait l’azur,
Et, dans son eau paisible, en son miroir liquide,
Offrait à tous les cœurs ainsi qu’à tous les yeux,
Des images d’amour, des prestiges heureux,
Ne fut plus qu’un bourbier répandant à la ronde
De miasmes impurs la méphitique odeur.
Cependant le ruisseau dont l’imprudent censeur
Maudit la course furibonde,
Verse toujours au loin les bienfaits de son onde,
Et, jusques sur les bords flétris
Du bassin qui naguère eut seul tous les suffrages,
Ranime la nature et se fait des amis
De tous ceux dont naguère il reçut les outrages
Et que l’épreuve a mieux instruits.
Le bassin nous offre l’image
De ces fourbes profonds dont l’aimable visage,
Dans la prospérité, nous charme, nous séduit.
Le ruisseau libre, dans son lit,
Mais qu’on voit quelquefois, grossi par un orage,
Ou heurté dans son cours, bondir sur le rivage,
Rappelle l’homme franc, sensible, impétueux,
Que touche le malheur, qu’irrite l’orgueilleux,
Et qu’attache surtout l’humble ainsi que le sage.
O Dieux ! donnez-moi pour voisin
Un ruisseau, non pas un bassin.
“Le ruisseau et le bassin”