Pañchatantra ou fables de Bidpai
XIII.— Le Tittibha* et la Mer
Dans une contrée au bord de la mer habitait un couple de tittibhas. Là, dans le cours du temps, la femelle arriva à la saison de procréer et conçut. Puis quand elle fut près de pondre, elle dit au tittibha : Hé, chéri ! voici le moment de ma ponte ; cherchons donc un endroit où il n’y ait aucun malheur à craindre, afin que je m’y délivre de mes œufs.— Ma chère, répondit le tittibha, ce lieu, voisin de la mer, est charmant ; par conséquent c’est ici même qu’il faut pondre. — Ici, dit la femelle, le jour de la pleine lune, le flux de la mer vient ; il entraîne même les grands éléphants en rut. Cherchons donc au loin ailleurs un endroit.
Lorsque le tittibha entendit cela, il dit en souriant : Ma chère, ce que tu dis n’est pas juste. Quelle est la mesure de l’Océan, pour qu’il fasse du mal à ma progéniture ? N’as-tu pas entendu :
Quel est l’homme stupide qui entre volontairement dans le feu, lorsqu’il intercepte la route des habitants de l’air, qu’il n’a plus de fumée et qu’il inspire toujours un grand effroi ?
Qui donc, désireux de voir le monde de Yama, réveille le lion quand il dort, pareil au dieu de la mort, après s’être fatigué à déchirer les protubérances du front de l’éléphant en rut ?
Qui va dans la demeure de Yama et, de lui-même, ordonne sans crainte au dieu de la mort : Prends ma vie, si tu as quelque puissance !
Quand le vent du matin est mêlé avec une petite gelée et glacial, quel homme, s’il connaît les qualités et les défauts des choses, se sert de l’eau pour éloigner le froid ?
Sois donc tranquille et ponds tes œufs ici même. Et l’on dit : Si une mère a un fils qui, par crainte d’être vaincu, abandonne sa demeure, elle est appelée femme stérile par les sages.
Et ainsi :
Qu’il ne vive pas, celui qui vit quoique consumé par la douleur d’un affront ; puisse-t-il ne pas être né, lui qui cause de l’affliction à sa mère !
Comme le tittibha parlait ainsi et se moquait d’elle, la femelle, qui connaissait sa force réelle, dit : Ceci est vrai et aussi très-juste :
A quoi bon ce fier langage ? Tu deviendras ridicule aux yeux du monde, ô roi des oiseaux ! Ici-bas, ce qui cause de la surprise, c’est qu’un lièvre prenne des bouchées d’éléphant.
Que peut faire l’Océan ? répondit le tittibha. Lorsque l’Océan entendit cela, il pensa : Ah ! voyez l’orgueil de ce chétif oiseau ! Et certes on dit ceci avec raison :
Qui peut apaiser l’orgueil que quelqu’un a conçu dans son cœur ? Le tittibha dort les pattes en l’air par crainte d’une rupture du ciel.
Aussi, ne serait-ce que par curiosité, il faut que je voie jusqu’où va sa force. Que me fera-t-il si j’emporte ses œufs ? L’Océan s’arrêta à cette pensée ; puis aussitôt après la ponte, et pendant que la femelle du tittibha était allée chercher sa subsistance, il emporta les œufs sous la feinte apparence du flux. Lorsque la femelle fut revenue et qu’elle vit le nid vide, elle dit, en se lamentant, au tittibha : ô sot ! je t’avais déjà dit que les œufs seraient détruits par le flux de la mer, et que par conséquent il fallait nous en aller plus loin ; mais, devenu orgueilleux par sottise, tu ne suis pas mes conseils. Et certes on dit ceci avec raison :
Celui qui, ici-bas, ne suit pas les conseils d’amis bienveillants périt comme la sotte tortue qui tomba d’un morceau de bois.
Comment cela ? dit le tittibha. La femelle dit :
*Oiseau.
« Le Tittibha et la Mer »
- Panchatantra 13