Un vautour affamé planait au haut de l’air ;
Il aperçut une tortue. Oh oh ! dit-il, cela remué :
C’est une proie. Il part, et, prompt démine l’éclair
Il fond sur la paisible bête,
Qui, par l’instinct avertie à propos,
Enferme ses pieds et sa tête
Sous le rempart qui recouvre son dos.
Qui fut nigaud? ce fut l’oiseau de proie.
Imaginez quel rabat-joie
Quand il se vit si mal placé
Sur un dos si bien cuirassé.
Quoi ! dit-il, sous cette muraille,
Cette impertinente canaille
De tous mes efforts se rira ,
Et mon bec vainqueur ne pourra
Venir à bout de son écaillé ?
Disant ces mots, il se livre aux transporta
De son orgueilleuse colère ;
Et contre son sage adversaire
Avec fureur redouble ses efforts.
Qu’y gagna-t-il? ce qu’on gagne en affaire.
A prendre de l’humeur contre les accidents :
Il usa son bec et sa serre ,
Perdit ses peines et son temps.
Seigneur vautour était de petite cervelle,
Et n’avait point lu Marc-Aurèle ;(1)
Il avait le vice des grands :
( C’est aussi celui des enfants )
La contrariété les tue ;
Et, dans la passion dont leur âme est émue,
Ils voudraient déchirer le livre du destin :
Mais les feuillets en sont d’airain ;
C’est le rempart de la tortue.
“Le vautour et la tortue”